Une proposition insatisfaisante: La mobilisation étudiante continue au Chili
25 mai 2012, Simon Morin
Une proposition insatisfaisante
La mobilisation étudiante continue au Chili
Le 25 avril dernier, les étudiants chiliens étaient plus de 50 000 à manifester dans les rues de Santiago. Confronté comme au Québec à un gouvernement des plus fermé, le mouvement étudiant continue de revendiquer, depuis maintenant plus d’un an, l’accessibilité et la qualité de l’éducation. Au cours de la semaine dernière, le mouvement étudiant chilien, tout comme au Québec, a réussi à obtenir une première proposition de la part de leur gouvernement qu’il a aussitôt qualifié d’insuffisante. Déterminé à transformer les structures inégalitaires de leur système d’éducation, héritées de la dictature militaire des années 70 et 80, la Confédération des Étudiants du Chili (CONFECH), principale association nationale, à assurer que le gouvernent ne bénéficiera pas de l’essoufflement de la mobilisation étudiante.
Inégalité endémique
L’éducation au Chili est l’une des plus chères de la planète derrière celle des États-¬‐Unis. Caractérisé par un sous-¬‐financement en matière de services sociaux, le Chili investit moins de 6 % de son PIB en éducation malgré les recommandations de l’UNESCO. Par conséquent, les coûts de fonctionnement du système académique reposent en grande partie sur les épaules des étudiants. C’est la raison pour laquelle les coûts d’inscription sont effarants. Au Chili, le salaire moyen est d’environ 1035 $ CAN mensuels. En comparaison, le prix de l’éducation s’établit entre 340 et 800 $ CAN par mois, soit plus que le salaire minimum et en moyenne plus de la moitié du salaire moyen. Résultat, environ 70 % des étudiants s’endettent pour payer leurs études et 40 % d’entre eux abandonnent pour des raisons financières.
Outre le coût des études, une autre cause de l’inégalité endémique du système d’éducation est l’importance du marché privé et semi-¬‐privé. Selon une étude réalisée par Rodrigo Cornejo, professeur à l’Université du Chili, une segmentation sociale s’observe entre les différents types d’établissements publics, semi-¬‐publics et privés. Par exemple, entre 1990 et 2000, Cornejo montre hors de tout doute que les étudiants des classes défavorisées se concentrent dans les établissements publics alors que ceux appartenant aux classes favorisées se concentrent dans les établissements privés. Cette polarisation, dit-¬‐il, est d’autant plus préoccupante que les établissements privés disposent de davantage de moyens pour fournir une éducation supérieure à leurs étudiants débouchant sur de meilleurs emplois. Dans le cas des établissements semi-¬‐privés subventionnés par l’État, l’impératif du profit prévaut et fait pression sur la qualité des formations. Par exemple, fonctionnant comme des entreprises, les écoles semi-¬‐privées définissent des programmes sur mesure en fonction des objectifs du ministère de l’Éducation, et ce, sans mobiliser plus de ressources qu’il n’en faut pour garantir une éducation de qualité.
Proposition de réformes
Dans l’espoir de mettre fin à la plus importante mobilisation sociale depuis le retour à la démocratie en mars 1990, Sébastián Piñera propose une série de réformes visant à la fois l’éducation et la fiscalité. Premièrement, le président propose d’injecter entre 700 millions
et 1 milliard US $ afin d’améliorer l’accessibilité et la qualité de l’éducation. La réforme, qui était présentée ce lundi au Congrès, prévoit le maintien de la hausse exceptionnelle de l’impôt sur les profits des entreprises passée de 17 % à 20 % à la suite du tremblement de terre en 2010. Deuxièmement, Piñera propose de mettre sur pied un nouveau système de financement des études afin de réduire l’endettement étudiant. Présentement entre les mains des banques, le système de prestation étudiant serait garanti par l’État, ce qui permettrait de réduire le taux d’imposition au crédit de 0,6 à 0,2 %. En ce sens, le président propose également de réformer l’imposition sur le revenu en faveur des familles de la classe moyenne par une réduction variant entre 10 et 15 %. Enfin, les familles étudiantes pourraient aussi bénéficier d’une déduction d’impôt sur toutes dépenses liées à l’éducation à concurrence de 50 % de leur coût.
Un gouvernement de droite
Le gouvernement de Sebastián Piñera se dit satisfait de sa proposition soutenant que ses réformes s’inscrivent dans la construction d’un système d’éducation de qualité et accessible à tous et toutes. Cependant, fière héritière du legs économique de l’École de Chicago sous la dictature de Pinochet, le parti présidentiel de la Rénovation nationale privilégie une culture de l’utilisateur payeur conformément aux dogmes du néolibéralisme. Selon le ministre de l’Éducation, Harald Beyer, il revient aux étudiants de payer pour leur formation étant les principaux bénéficiaires. C’est pourquoi les membres du gouvernement jugent la gratuité scolaire injuste et inéquitable. Ils disent s’opposer à la tendance vers l’assistanat et la dépendance visant plutôt à stimuler les libertés individuelles afin que tous puissent se prendre en mains et assumer la responsabilité de son propre destin. « L’éducation est le meilleur investissement que l’on peut faire. » dirait Mme Beauchamp.
La Concertation et le mouvement étudiant insatisfait
Le mouvement étudiant est loin de partager la même opinion ainsi que certains représentants au Congrès de la Coalition de gauche, la Concertation. À leur avis, les réformes proposées par le président ne changent en rien la structure inégalitaire du système d’éducation. D’abord, le mouvement critique vertement le gouvernement d’éviter toutes réformes sur la privatisation du système académique, et notamment, toutes réformes sur la question des profits. Considérant les détournements de la loi interdisant tout bénéfice en éducation, les représentants du mouvement étudiant défendent qu’investir plus sans réelle réforme équivaut à exacerber le problème et jeter au final de l’argent par les fenêtres. Ensuite, rétorquent les représentants étudiants, la réforme est loin d’être suffisante pour améliorer l’accessibilité et réduire le surendettement étudiant. Selon les calculs conservateurs de la CONFECH une transformation profonde nécessiterait aux bas mots un investissement de 3,5 à 4 milliards US$ alors que certains membres de la Concertation avancent jusqu’à 7 et même 8 milliards US$.
Chose certaine, au Chili comme au Québec, l’accessibilité à l’éducation est un enjeu de société dépassant la simple opposition aux frais d’inscription. Elle questionne plutôt ce que nous souhaitons faire de l’éducation en tant que bien collectif menacé, à l’heure de la mondialisation, par la marchandisation du monde et l’économie du savoir.
Bibliographie pour en savoir plus
[En français]
Jean-¬‐Michel Leprince, journaliste de Radio-¬‐Canada, était au Chili pour la manifestation du 25 avril dernier. Pour un bref topo de la situation au Chili, consulter :
http://www.radio-¬‐canada.ca/nouvelles/International/2012/04/27/001-¬‐chili-¬‐reforme-¬‐ fiscale-¬‐financement-¬‐education.shtml
Simon Morin, assistant de recherche à la Chaire Nycole-¬‐Turmel, propose une analyse sur l’origine et les revendications de la mobilisation étudiante au Chili soutenant qu’elle est le legs de la dictature militaire des années 70 et 80 sous Augusto Pinochet : http://www.turmel.uqam.ca/node/457
[En espagnol]
Discours de Sebastián Piñera sur la réforme fiscale et en éducation : http://www.lanacion.cl/presidente-¬‐pinera–‐presenta-¬‐su-¬‐reforma-¬‐tributaria-¬‐al-¬‐ pais/noticias/2012-¬‐04-¬‐26/205853.html
Réaction de Gabric Boríc, président de la Fédération des Étudiants de l’Université du Chili , à la proposition du président:
http://www.lanacion.cl/boric-¬‐no-¬‐estamos-¬‐disponibles–‐para-¬‐maquillar-¬‐el-¬‐
sistema/noticias/2012-¬‐04-¬‐26/233759.html
Transformation du système de financement des études :
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=XN3qwk5mPNs
Vidéo de Camila Vallejo sur la nouvelle proposition du gouvernement et sur la question du profit dans les écoles privées et semi-¬‐privées: http://www.youtube.com/watch?v=VJSmWPyYTrs&feature=relmfu