
La Stratégie du Canada pour l’Afrique : Une nouvelle politique étrangère solide ?
Blogue Un seul monde, Stephen Brown, 5 mai 2025
Le moment choisi était surprenant. Après des retards de plus d’un an, le gouvernement Trudeau a publié récemment sa stratégie pour l’Afrique, à peine une semaine avant l’assermentation d’un nouveau gouvernement et deux semaines seulement avant le déclenchement de nouvelles élections fédérales. De nombreux experts doutaient de l’arrivée de ce document, tout comme celui de la politique étrangère féministe, en préparation depuis 2020.
Mais si l’on fait abstraction du moment choisi, la stratégie est-elle valable ? Certains spécialistes des relations canado-africaines semblent plutôt mitigés. Le professeur David Black, de l’Université Dalhousie, l’a décrit comme étant « un pas en avant », reconnaissant toutefois que la barre n’était pas très haute. Le professeur de l’Université Carleton, David Hornsby, a également déclaré qu’il s’agissait d’un « bon début ». Dans le même sens, le professeur à l’Université de la Vallée Fraser, Edward Akuffo, l’a qualifiée de « jalon important », bien que quelque peu décevante, faisant référence à « l’approche tiède du Canada à l’égard du continent ».
Manque d’engagement de la part du gouvernement
La principale source de déception est l’absence de fonds supplémentaires destinés à cette stratégie. Une action nouvelle et audacieuse nécessite un nouveau financement – à moins qu’Affaires mondiales Canada n’envisage de réduire ses dépenses dans d’autres domaines ? À première vue, le ministère semble vouloir poursuivre ses actions habituelles en matière de développement, de diplomatie et de commerce, ce qui a probablement contraint les auteurs de la stratégie à jongler avec des déclarations et formulations nuancées et parfois alambiquées. Par exemple : « Les programmes seront recalibrés dans le cadre de la Stratégie de façon à soutenir la réalisation des priorités établies tout en mettant davantage l’accent sur la coopération économique et sur les partenariats pour la paix et la sécurité ». Quel joyau de langage bureaucratique !
Le manque d’engagement du gouvernement ne s’est pas seulement traduit par son refus de consacrer des fonds supplémentaires à la stratégie pour l’Afrique, ce qui contraste d’ailleurs fortement avec le budget de 2,3 milliards de dollars alloué à la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique de 2022. Dans ce cadre, le contraste s’illustre également dans la manière dont la stratégie pour l’Afrique a été dévoilée, ou plutôt par qui elle a été dévoilée. Alors que la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, avait personnellement lancé la stratégie pour l’Indo-Pacifique, accompagnée de plusieurs autres ministres, la stratégie pour l’Afrique a été présentée par son secrétaire parlementaire, Rob Oliphant, sans qu’aucun membre du Conseil de ministres n’y participe. Le symbolisme était frappant.
Une nouvelle politique étrangère solide ?
Qualifier la stratégie de « nouvelle politique étrangère solide », comme le déclare le document, est clairement hyperbolique. Elle est loin d’être solide (compte tenu de ce qui précède), très peu de choses sont nouvelles et elle ne constitue pas vraiment une politique étrangère à proprement parler, ce qui explique sans doute pourquoi elle est qualifiée de stratégie plutôt que de politique.
Les objectifs déclarés de la stratégie sont, pour la plupart, difficilement contestables. La création d’emplois, la croissance économique durable, la promotion de la paix et de la sécurité, le renforcement de la démocratie et des droits de la personne, la lutte contre le changement climatique et d’autres défis mondiaux représentent tous des éléments cruciaux. Et ce sont aussi des choses que le Canada fait déjà en Afrique. D’ailleurs, des indications que « le Canada continuera de… » s’avèrent fréquentes. La stratégie est donc que Canada va faire à peu près les mêmes choses, mais sans ressources supplémentaires ?
Plutôt que d’expliquer en détail quelles nouvelles actions seront entreprises et comment, la stratégie énumère des pages d’actions que le Canada a déjà entrepris. Il est d’ailleurs intéressant d’y relever un encadré mythifiant « Le rôle du Canada pour mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud », alors que Linda Freeman y dénonce le rôle ambigu du Canada. Pour un document qui devrait être tourné vers l’avenir, il regarde beaucoup en arrière.
Dans cette optique, ce document consacre même une page au bilan du Canada en matière de maintien de la paix en Afrique depuis 1960. Sans surprise, elle omet de mentionner que le Canada ne fournit actuellement que 26 membres du personnel aux missions de maintien de la paix de l’ONU dans le monde, dont seulement cinq policier-e-s et aucune troupe. Puisque la nouvelle stratégie met en avant l’Initiative Elsie du Canada pour la participation des femmes aux opérations de paix, il est particulièrement intéressant de noter que ces 26 membres du personnel canadien comptent seulement deux femmes. Si le Canada a peut-être apporté de nombreuses contributions importantes à l’Afrique par le passé, des efforts restent à fournir afin de traduire une rhétorique fondée sur les principes en action concrète.
En plus, l’encre de ce nouveau document stratégique était à peine sèche lorsque le Canada a renouvelé sa coopération militaire avec l’Éthiopie, malgré des allégations crédibles de génocide et d’autres crimes de guerre perpétrés par ce gouvernement dans la région du Tigré. Plusieurs questions se soulèvent alors : quelle est la valeur réelle de l’accent mis par la stratégie sur la paix et les droits de la personne ? Plus généralement, cette stratégie guidera-t-elle réellement l’action ou le gouvernement canadien accordera-t-il ses actions selon les intérêts de ses dirigeant-e-s politiques ?
Des intérêts commerciaux en hausse
Ce qui ressort plus clairement de cette stratégie est l’intention du gouvernement canadien de mieux intégrer ses intérêts commerciaux dans ses activités de diplomatie et de développement. Cet élément, combiné avec l’accent mis sur les outils financiers « novateurs » et « mixtes », est la composante la plus controversée de la stratégie. Ensemble, ils témoignent de l’importance croissante du secteur privé canadien dans la politique étrangère du pays. Cela est parfois formulé en matière d’intérêts sécuritaires canadiens, comme l’illustrent les multiples références aux « minéraux critiques » dont les pays africains disposent et auxquels le Canada souhaite accéder. Comme dans la
La place croissante de l’intérêt national canadien, même s’il est formulé en termes de partenariats mutuellement bénéfiques – ce qui n’est pas sans rappeler la formulation habituelle de la Chine – est inquiétante, surtout dans un contexte où les États-Unis ont pratiquement abandonné l’aide au développement et où les principaux bailleurs de fonds européens réduisent radicalement leur aide.
Conclusion
En somme, la stratégie du Canada pour l’Afrique semble, pour l’essentiel, manquer de substance et d’impact réel, poussant beaucoup à douter de son effectivité. Elle pose l’interrogation selon laquelle, à l’instar de la politique étrangère féministe, cette stratégie sera probablement mise en avant lorsque cela servira les intérêts du gouvernement, mais négligée dans d’autres contextes. Qui plus est, la plateforme électorale libérale, publiée un mois après la stratégie pour l’Afrique, promet « une nouvelle politique étrangère complète ». Est-ce que le gouvernement Carney recommencera à zéro ?
Auteur: Stephen Brown, professeur titulaire de science politique à l’Université d’Ottawa.
Cet article a initialement été publié en anglais dans le blogue du McLeod Group.