Difficultés et pistes de solutions à l’entrepreneuriat social en milieu rural : le cas de l’Afrique de l’Ouest

Issaka Oumarou Harou, doctorant en Administration, École des sciences de la gestion (UQAM), 22 mars 2021

Le rôle moteur que joue l’entrepreneuriat dans la croissance et le développement économique, notamment local, est reconnu depuis longtemps. Or, de nombreux pays en voie de développement, particulièrement en Afrique de l’Ouest, n’ont pas été capables de créer et maintenir un environnement favorable pour en assurer le développement. Ainsi, dans certains pays, spécialement en milieu rural, de nouvelles formes d’entrepreneuriat émergent, notamment l’entrepreneuriat social. Apparu dans les années 1990, l’entrepreneuriat social recouvre l’ensemble des initiatives économiques dont la finalité principale est sociale ou environnementale et dont l’objectif est de résoudre les problèmes des populations et d’améliorer leurs conditions de vie.

Les enjeux de l’entrepreneuriat social

La littérature ayant traité de l’entrepreneuriat social souligne une grande diversité des missions sociales dont sont porteuses les entreprises sociales. On peut les classer en trois niveaux distincts. Premièrement, la mission sociale peut concerner la nature même des biens et services fournis : ces derniers apportent une solution, fût-elle partielle, à un problème social en répondant à des besoins auxquels les organisations publiques et les entreprises privées n’apportent pas de réponse, du moins pour certains groupes de personnes, souvent défavorisées (accès à des services sociaux, à l’éducation, aux services financiers…). Deuxièmement, la mission sociale peut concerner les processus ou les relations entre les actrices et les acteurs sociaux (par exemple des relations commerciales prêtant davantage d’attention à des groupes sociaux désavantagés). Enfin, la dimension sociale peut être encastrée dans des valeurs sociétales plus larges (par exemple promouvoir la démocratie économique, des modes de vie durables). Outre cette diversité de missions sociales, l’entrepreneuriat social est articulé autour d’une logique non marchande qui favorise une réponse collective aux problèmes communs.

Mon expérience en tant que conseiller stagiaire en gestion et renforcement économique au Sénégal auprès d’entreprises sociales dans la région de Thiès m’a permis de travailler en étroite collaboration avec les actrices et les acteurs du domaine et de pouvoir exposer certains enjeux qui me paraissent importants. Avec 58 % de sa population qui vit en zone rurale, selon les données de 2015 de l’Agence nationale de statistiques et de la démographie (ANSD), le Sénégal, à l’instar de certains pays en voie de développement, est confronté à un faible niveau d’activité de la population active. Cela se traduit par un fort taux de chômage, qui était de l’ordre de 13 % en 2015, toujours selon l’ANSD. L’agriculture, principale activité en milieu rural, fait face à des difficultés liées au climat, à l’insuffisance et à la fluctuation de la pluviométrie, sans oublier la dégradation des terres. L’accès difficile au financement agricole constitue aussi un obstacle majeur au développement des activités et au renforcement des capacités techniques et matérielles des productrices et des producteurs. On constate ainsi de plus en plus une perte du capital semencier (une baisse quantitative et qualitative des semences) et une vétusté du matériel agricole.

En marge de ces difficultés, on assiste à l’émergence d’organisations paysannes évoluant dans le secteur agricole afin de mutualiser leurs efforts. Ces organisations, que je considère comme des entreprises sociales, se distinguent par leur enracinement dans les communautés locales, permettant ainsi aux productrices et producteurs locaux de travailler ensemble au service de l’intérêt général. Conjuguant une dynamique entrepreneuriale avec la primauté d’une mission sociale et d’une gouvernance marquée par une quête de démocratie économique où l’excédent financier est réinvesti dans l’organisation en vue de réaliser sa mission sociale, ces organisations sont de plus en plus constituées par les femmes, notamment en milieu rural. Or, les femmes, qui représentent plus de la moitié de la population au Sénégal (52 %), rencontrent davantage de difficultés que les hommes pour créer et développer leurs entreprises. Dans ce contexte culturel particulier qui fait peser sur les femmes de lourdes responsabilités familiales et sociales, celles-ci prennent conscience qu’elles doivent s’organiser pour acquérir et conserver une certaine autonomie financière dans la société.

Les obstacles et difficultés

Lors de mon processus d’accompagnement auprès des entreprises sociales, plusieurs difficultés ont été évoquées par les membres de ces entreprises, sans en faire une généralité, mais qui pourraient être communes à plusieurs entreprises sociales en milieu rural. Tout en reconnaissant aussi que la situation des femmes et des entreprises sociales en milieu rural varie d’une zone et d’une communauté à l’autre, il est possible d’observer, de relever et d’analyser certaines difficultés dans la pratique de leurs activités.

Ainsi, les femmes en milieu rural sont souvent confrontées à des lois et pratiques discriminatoires en matière foncière et familiale (accès difficile des femmes à la propriété foncière en raison des pratiques coutumières, mariages précoces). À cela s’ajoute un accès difficile aux ressources productives (semences de bonne qualité, outils de production). Cette problématique est aggravée par un faible taux d’alphabétisation malgré l’émergence de programmes d’alphabétisations en wolof dans le milieu rural (39,80 % pour les femmes et 64,81 % pour les hommes en 2017), du déficit de formation et d’insuffisances en matière de gestion d’entreprise.

En outre, le manque des infrastructures et services de transport, d’électricité et d’approvisionnement en eau potable, la défaillance du système de santé allonge le temps nécessaire aux tâches ménagères effectuées exclusivement par les femmes en milieu rural. Cet état de fait, auquel s’ajoute le travail agricole considérable que les femmes accomplissent, constitue un frein pour leurs activités associatives.

L’accès au financement constitue également un sérieux obstacle pour le développement des activités des femmes. Les banques sont peu implantées dans les zones rurales et lorsqu’elles existent, les prêts sont sujets à des conditions très strictes qui leur sont défavorables (taux d’intérêt élevés, garanties conséquentes, etc..). Bien qu’on assiste à l’implantation de plus en plus importante d’institutions de microcrédit en milieu rural, le montant des prêts est en général assez faible pour permettre un développement substantiel de leurs activités.

Pistes de solutions à envisager

Face à ces difficultés, quelles sont alors les mesures ou politiques possibles ? Étant donné que les facteurs limitant l’entrepreneuriat en milieu social sont multiples et d’autres interdépendants, des mesures intégrées sont nécessaires pour que les entrepreneures et les entrepreneurs en milieu rural puissent réaliser leur potentiel. Motivées par la poursuite de leurs missions sociales, les entreprises sociales se préoccupent moins des aspects économiques et financiers, alors même que ces derniers sont importants à l’atteinte de leurs missions et à la pérennité des entreprises. Il apparait donc nécessaire de favoriser un écosystème propice au développement de l’entrepreneuriat social qui viendrait de la base et permettrait aux organisations sociales en milieu rural de participer à la création de cet écosystème. On peut y recourir et adapter le système d’Hybrid Value Chain (chaine de valeur hybride) qui suppose de mettre les actrices et les acteurs d’un écosystème en réseau, et d’analyser les rôles et les devoirs des institutions publiques, privées et sociales pour en tirer des synergies aboutissant à la création de chaines de valeur où chacun et chacune qui y participe y trouve son compte. À travers cet écosystème et la mise en place de modes de coordination et d’allocation des ressources qu’il sous-tend, une économie d’impact s’organise, pouvant aboutir à une meilleure intégration des entreprises sociales.

Également, au sommet de l’État, les instances décisionnelles doivent prendre en compte les besoins spécifiques des entrepreneures et des entrepreneurs en milieu rural dans l’élaboration des programmes et services en direction du monde rural, car, divers programmes existent, mais ne sont souvent pas adaptés. Ensuite, il est essentiel d’améliorer les compétences entrepreneuriales en milieu rural, que ce soit en termes de renforcement de capacités ou de formations.

Il serait aussi judicieux d’encourager les entreprises de petite taille à s’organiser collectivement en coopératives, en groupements d’intérêts économiques ou sous d’autres formes permettant des économies d’échelles dans la production et la commercialisation. Cela permettrait de mettre en place des stratégies de commercialisation cohérentes et efficaces, car, l’un des moyens de vente qu’on retrouve le plus en milieu rural, est celui de la vente sur le bord de la route, qui est non seulement inefficace, mais aussi improductif. Des stratégies de commercialisations telles que la mise en place de boutiques villageoises (commercialisation groupée et mise en marché collective) où les produits peuvent être bien conservés et emballés et des activités permettant la valorisation et la promotion des produits locaux faciliteront l’écoulement des produits dans d’autres marchés, notamment dans les centres urbains.

Crédit photo : UN Women/Bruno Democq

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