Mutilations génitales féminines : analyse des impacts des initiatives des organisations de coopération internationale

Blogue Un seul monde, Lena Trottein, 22 avril 2024

Les mutilations génitales féminines (MGF) représentent une grave violation des droits humains ainsi qu’un symbole de la société patriarcale et des normes socio-culturelles sexistes profondément ancrées à l’échelle mondiale. Ces mutilations engendrent de nombreuses répercussions au niveau de la santé physique et psychologique des victimes, mais demeurent très répandues dans divers pays : actuellement, en Guinée, au Mali, ou encore en Somalie, plus de 90% des femmes et des filles, âgées de 15 à 49 ans, ont subi une mutilation génitale féminine.

Malgré les efforts déployés par certaines organisations non gouvernementales (ONG) et institutions internationales, nous n’observons pas de réel recul de cette pratique. Un rapport de l’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l’enfance) publié le 8 mars 2024 indique une augmentation de 15% du nombre de victimes, comparativement aux chiffres enregistrés il y a 8 ans. Bien qu’il faille considérer la croissance démographique, l’UNICEF indique que « ces données montrent que le rythme des progrès pour mettre fin aux mutilations génitales féminines reste lent, qu’il ne parvient pas à suivre le rythme de la croissance démographique, en particulier dans les pays où cette pratique est la plus répandue, et qu’il est bien trop insuffisant pour atteindre l’objectif de développement durable des Nations Unies d’éliminer les mutilations génitales féminines d’ici à 2030. En effet, pour concrétiser cet objectif, il faudrait progresser 27 fois plus rapidement à l’échelle mondiale ». L’UNFPA (Fonds des Nations Unies pour la population) considère par ailleurs que la pandémie de la COVID-19 a grandement réduit les impacts des actions de prévention. Alors que les données présentées par l’UNICEF ne présagent pas une éradication prochaine des MGF, il est possible que les cadres juridiques qui avaient été mis en place pour lutter contre ces dernières commencent à s’étioler. En effet, la Gambie envisage actuellement d’abroger l’interdiction des mutilations génitales féminines qui est en vigueur depuis 2015. Face à ces constatations inquiétantes, certaines interrogations persistent : Comment expliquer la lenteur des progrès de la lutte contre les MGF ainsi que les premiers signes de régressions des instruments juridiques ? Les initiatives des organisations de coopération internationale démontrent-elles une efficacité suffisante dans la lutte contre les MGF et ont-elles le potentiel de générer des résultats plus significatifs ?

Défis et obstacles

La difficulté des organisations de coopération internationale, mais aussi des autres acteurs impliqués (organisations internationales, gouvernements, organisations de la société civile…), à contrer les MGF de manière efficace repose sur plusieurs éléments. Premièrement, les MGF sont des normes socioculturelles ancrées dans les coutumes de nombreuses populations. Cette pratique découle de la société patriarcale, un ordre social fondé sur l’oppression des femmes, qui prône, entre autres, un contrôle de la sexualité des filles et des femmes. Certaines croyances mettent d’ailleurs en avant les avantages sanitaires et esthétiques de ces mutilations. Les MGF sont tant enracinées dans les conventions sociales que ne pas les pratiquer, voire les condamner, expose à un rejet de la communauté. Deuxièmement, en lien avec les facteurs socioculturels souvent mis de l’avant, des causes économiques sont à considérer. Dans plusieurs communautés, les filles et les femmes qui n’ont pas subi de MGF voient leurs opportunités de mariage diminuer. Alors que les femmes dépendent économiquement des hommes, la pratique de la MGF semble parfois, selon le milieu socio-économique et culturel, indispensable. En parallèle, les changements climatiques engendrent des impacts délétères sur un grand nombre de régions, provoquant des pertes de revenus. Par exemple, dans la région de la Corne de l’Afrique, des sécheresses provoquent une crise alimentaire depuis quelques années, poussant les parents à avoir recours aux MGF afin d’augmenter leurs opportunités de mariage, et donc de survie. Plus encore, la guerre en Ukraine, ainsi que la pandémie de la COVID-19, ont amplifié l’insécurité alimentaire à travers le monde,  dont les conséquences s’illustrent récemment en Gambie, par la pratique précoce des MGF afin de marier les filles rapidement. Comme l’indique Catherine Russell, directrice générale de l’UNICEF : « On observe par ailleurs une tendance inquiétante : les filles font l’objet de cette pratique préjudiciable de plus en plus jeunes, souvent avant leur cinquième anniversaire, ce qui réduit encore davantage notre fenêtre d’intervention. Nous devons redoubler d’efforts pour mettre fin à ce terrible problème ». Par ailleurs, UNFPA précise également que dans certains cas, la MGF est une condition au droit d’hériter, des obstacles juridiques s’opposant alors à l’éradication de cette pratique. Ces processus structurels doivent donc être pris en compte, ce qui rend complexe l’intervention des organisations de coopération internationale.

Pistes de solutions

Bien que les progrès dans la lutte contre les MGF soient lents, ils sont tout de même observables : le rapport de l’UNICEF du 8 mars dernier affirme que « la moitié des progrès enregistrés au cours des 30 dernières années sont survenus au cours de la dernière décennie », ce qui démontre une efficacité accrue de ces dernières années comparativement aux décennies précédentes. Certains pays, tels que l’Egypte, le Kenya, ou encore la Sierra Leone, ont enregistré une diminution non négligeable de la prévalence des MGF. Nonobstant, quelques pistes de mesures pouvant faciliter la diminution des MGF peuvent être relevées.

Dans un premier temps, davantage de campagnes de sensibilisation auprès des jeunes pourraient produire des changements significatifs sur les schémas de pensée de la prochaine génération. En effet, certaines études ont montré que les adolescentes et les jeunes femmes sont plus propices à s’opposer aux pratiques des MGF que les femmes plus âgées. Par ailleurs, des recherches démontrent que les femmes sont des personnes d’influence au sein de la famille, et ont un pouvoir de décision au niveau de la pratique des MGF. En ce sens, il semble primordial d’investir dans la sensibilisation des jeunes filles d’aujourd’hui qui pourraient être les mères informées et sensibilisées de demain, en mettant en avant les risques sanitaires auxquels sont exposés les femmes et les filles ayant subi une MGF (complications lors de l’accouchement, multiples risques d’hémorragies, d’infections, de douleurs…). Dans un second temps, des liens renforcés entre organisations de coopération internationale et organisations locales seraient bénéfiques aux actions de sensibilisation aux MGF. Effectivement, quelques théoriciennes et universitaires africaines ont déjà soulevé la problématique des initiatives mises en place par des organisations identifiées comme occidentales. Ces actions peuvent être rejetées par quelques communautés qui les perçoivent comme un interventionnisme occidental et un néo-colonialisme culturel. S’allier à des organisations de la société civile locales, ou à des leaders communautaires, permettrait d’atténuer cette méfiance des populations et cette décrédibilisation des actions de sensibilisation. Ces acteurs seront d’ailleurs davantage à-mêmes de connaître, comprendre et considérer tous les facteurs (sociologiques, culturels, économiques, religieux…) qui entourent la question des MGF, permettant aux initiatives d’être d’autant plus adaptées et pertinentes.

En somme, les mutilations génitales féminines représentent un défi complexe, entrelaçant en même temps des facteurs socio-culturels, historiques, économiques, religieux ou encore juridiques. Pour progresser significativement, il est impératif d’investir dans des campagnes de sensibilisation ciblées, en mettant l’accent sur l’éducation des jeunes et en renforçant les partenariats avec les acteurs locaux. Seule une approche holistique, intégrant la réalité locale propre à chaque communauté ainsi que les dimensions socioculturelles et économiques, pourra contribuer à l’éradication définitive de cette pratique néfaste et à la meilleure protection des droits fondamentaux des femmes et des filles à l’échelle mondiale.


Lena Trottein, coordonnatrice de l’Institut d’études internationales de Montréal

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