La protection des forêts du Bassin du Congo : une préoccupation internationale insuffisante ?

Blogue Un seul monde, Arnauld Chyngwa, 25 mars 2024

L’Afrique centrale abrite la deuxième plus grande forêt tropicale du monde après l’Amazonie, le bassin du Congo. Considéré comme l’un des poumons de la planète, ce massif forestier d’une superficie d’environ 240 millions d’hectares couvre six pays à savoir le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la République démocratique du Congo et la République centrafricaine. Les forêts d’Afrique centrale contiennent plusieurs forêts primaires – qui sont des forêts intactes qui n’ont pas encore été défrichées –, et les tourbières dans la cuvette centrale du bassin du Congo, qui sont de grands puits de carbone.

Emprisonnant des milliers de tonnes de carbone, les forêts du bassin du Congo jouent un rôle primordial dans la lutte contre le changement climatique, en absorbant le dioxyde de carbone de l’atmosphère. En raison de cette importance cruciale dans l’atténuation climatique, la préservation des forêts du bassin du Congo est devenue une priorité mondiale, dont la conservation durable et la gestion responsable suscite une mobilisation politique et financière internationale. Mais alors que plusieurs initiatives ont été engagées, des études révèlent que la menace pesant sur ce massif forestier ne cesse de croître. Aussi, l’on pourrait relever une insuffisance du soutien financier international pour conserver ce bien public mondial en déclin.

Une mobilisation internationale mitigée

Les forêts du bassin du Congo sont généralement abordées dans des rencontres internationales telles que les conférences sur le climat (comme la COP) et les réunions des Nations Unies sur la biodiversité. Les discussions portent souvent sur les initiatives pour renforcer les capacités des États de cette région à gérer durablement les forêts. Un renforcement qui reste, le plus souvent, financier. C’est dans cette perspective, qu’à l’issue de la COP 26 à Glasgow, 12 donateurs internationaux se sont engagés à verser entre 2021 et 2025, un minimum de 1,5 milliard de dollars US pour soutenir la protection et la gestion durable des forêts du bassin du Congo. Une promesse de financement collectif qui s’inscrit dans un engagement plus vaste de 12 milliards de dollars visant à stopper et inverser la déforestation et la dégradation des sols dans le monde d’ici 2030. Durant cette même rencontre internationale, 140 chefs d’États et de gouvernements se sont engagés dans la déclaration de Glasgow, à « travailler collectivement pour stopper et inverser la perte de forêts et la dégradation des terres d’ici 2030 ». Plus tard à la COP 27, l’Initiative pour la Forêt d’Afrique Centrale (CAFI) et le fonds d’investissement néerlandais (&Green) ont annoncé un accord d’au moins 120 millions de dollars US supplémentaires, contribuant à l’Engagement sur le bassin du Congo pris lors de la COP 26.

Le rapport sur l’état des forêts du bassin du Congo 2021 publié par l’Observatoire des forêts d’Afrique centrale (OFAC), met aussi en évidence le rôle important des partenaires internationaux et des acteurs du développement dans la mise en place de programmes, projets et plateformes pour appuyer le plan de convergence de la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC) – l’instance régionale en charge de la gestion des forêts –. Parmi les interventions notables, il faut souligner l’engagement de l’Allemagne en faveur des forêts d’Afrique centrale à hauteur de 147 millions d’euros entre 2005 et 2022 – représentant la plus grosse contribution extérieure. L’Union européenne vient, quant à elle, en deuxième position, avec une mobilisation de 14 millions d’euros dans la même période, pour aider les opérations de l’OFAC. Au-delà de l’appui financier de l’Union européenne, celle-ci a mis sur pied en 2003 l’Accord Volontaire de Partenariat FLEGT (APV), qui est un accord international bilatéral entre elle et un pays exportateur de bois, dont le but est d’améliorer la gouvernance forestière du pays partenaire et de s’assurer que le bois importé dans l’Union européenne respecte toutes les exigences réglementaires du pays partenaire en termes de durabilité et de non-déforestation.

Bien que bénéficiant d’un soutien financier international, une analyse de l’OFAC des flux financiers entre 2008 et 2017, montre que le bassin du Congo, malgré sa taille, attire moins de fonds pour sa gestion durable et la protection de ses écosystèmes que les forêts d’Asie du Sud-Est et de l’Amazonie. En effet, cette étude indique que sur le total des fonds captés par les trois forêts tropicales durant cette période, le bassin du Congo a mobilisé seulement 11,5% des fonds, contre 54,5% pour l’Asie du Sud-Est et 34% pour l’Amazonie. Cela pourrait être considéré comme un paradoxe conséquent au regard des différentes tailles de ces massifs forestiers, où l’on pourrait se demander pourquoi le plus petit massif forestier mobilise à lui seul plus de la moitié des financements. Même si l’on observe une inertie au niveau des contributions des États membres pour financer la COMIFAC, cet indice ne semble pas assez significatif pour expliquer l’écart de financement entre les trois massifs forestiers. Cependant, la menace sur les forêts continue de croitre, mettant en péril la planète.

La menace grandissante sur les forêts primaires

Malgré la mobilisation internationale, les forêts primaires du bassin du Congo demeurent confrontées à de nombreuses menaces, telles que la déforestation due à l’exploitation forestière, l’agriculture extensive, l’exploitation minière et l’expansion urbaine.

Un rapport de Global Forest Watch publié en 2023, indique que la perte des forêts primaires tropicales du monde a connu une nette augmentation de 10 % en 2022 par rapport à 2021. Selon ce même rapport, « en 2022, les forêts primaires tropicales ont subi une perte totale de 4,1 millions d’hectares, correspondant à la disparition de 11 terrains de football par minute ». Il convient de noter que cette augmentation de la perte des forêts primaires intervient juste après la déclaration de Glasgow sur les forêts et l’utilisation des terres, dans laquelle 145 chefs d’États et de gouvernements s’étaient engagés à stopper et à inverser cette tendance d’ici la fin de la décennie. Parmi les signataires de cet engagement, les États d’Afrique centrale sont bien représentés. Même si l’Amazonie semble plus fortement touchée par ces pertes, la République démocratique du Congo et le Cameroun restent les seuls pays d’Afrique centrale parmi les 10 pays les plus affectés, avec respectivement 512 672 ha et 76311 ha perdus. Toutefois, le Cameroun démontre le plus grand pourcentage de perte de l’Afrique centrale, s’élevant à 40%.

Selon World resources institute (WRI), les principaux facteurs de perte dans les pays du bassin du Congo sont principalement l’agriculture à petite échelle et la production de charbon de bois, qui est l’une des principales sources d’énergie de la région et qui repose sur la coupe et la combustion du bois.

Allant dans le même sens, le rapport de 2021 de l’OFAC sur l’état des forêts du bassin du Congo, indique la nette détérioration des superficies de forêts intactes dans les pays d’Afrique centrale depuis l’an 2000, une tendance qui s’est aggravée de manière dramatique au cours des cinq dernières années. Les analyses de ce rapport révèlent qu’environ 27 % de la surface des forêts tropicales humides intactes du bassin du Congo, telles qu’observées en 2020, disparaîtront d’ici 2050 si la déforestation et la dégradation des forêts se poursuivent au même rythme. Cette perte à grande vitesse des surfaces des forêts d’Afrique centrale risquerait d’asphyxier la planète. Cela suggère que le Bassin du Congo a plus que jamais besoin de fonds pour respirer.

Bien que plusieurs mobilisations internationales aient déjà été lancées pour protéger ce poumon mondial, il convient de constater qu’aujourd’hui, il est à bout de souffle et nécessite une attention urgente et plus profonde de la communauté internationale. Plus encore, cet état de cause inquiète les droits des populations locales et des peuples autochtones du bassin du Congo, une problématique inscrite au cœur de l’agenda international de gestion des ressources forestières. Raison pour laquelle le rapport 2021 de l’OFAC la définie comme l’un des principaux défis qui doivent être relevés pour parvenir à une gestion durable des écosystèmes forestiers de la région.


Arnauld Chyngwa, doctorant en sciences de l’environnement, UQAM

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