Le rôle central des femmes dans la justice sociale et climatique au Nord et Sud Kivu, République démocratique du Congo

Blogue Un seul monde, Liv Cerba et Perpétue Boku, 13 mai 2024

En amont de l’ouverture de la 68e Commission de la condition de la femme (CCF68) en mars dernier au siège de l’Organisation des Nations unies à New York, l’agence dédiée à l’égalité des genres “ONU Femmes” a annoncé que plus de 10,3 % des femmes dans le monde vivent dans l’extrême pauvreté. Ainsi, il faudrait multiplier la vitesse de nos progrès par vingt-six afin de pouvoir espérer atteindre les objectifs du développement durable (ODD) tels que le n°4 (éducation de qualité), le n°5 (égalité des genres) ou le n°13 (lutte contre les changements climatiques) d’ici 2030. Les changements climatiques font partie des enjeux mondiaux touchant particulièrement les femmes, en partie car elles restent souvent  en charge des activités de subsistance, dont l’agriculture. Les aléas climatiques viennent perturber la production et peuvent mettre en péril la sécurité alimentaire des foyers. La République démocratique du Congo (RDC) est présentée par la Banque mondiale comme étant un “pays solution” aux changements climatiques en raison de ses nombreuses forêts et de ses ressources en eau douce et en réserves minérales : un terme introduit par le président Félix Tshisekedi lors de la pré-COP 27 à Kinshasa en 2022. Or, il est estimé qu’en l’absence de progrès dans l’adaptation aux changements climatiques, près de 16 millions de personnes pourraient basculer dans la pauvreté d’ici 2050 en RDC. Cela aura des conséquences directes sur les conditions de vie des femmes et de leurs foyers.

Les régions du Nord et Sud-Kivu sont depuis plusieurs décennies au cœur de déstabilisations politiques et communautaires, tout en étant fortement touchées par les changements climatiques. Les femmes, principalement en charge des activités agricoles de subsistance, sont particulièrement impactées par les dérèglements des pluies, la perte de richesse des terres, et les conséquences de la surexploitation des forêts. Ainsi, si la communauté internationale souhaite lutter contre l’extrême pauvreté, il est primordial de continuer à soutenir financièrement et humainement ces organisations et individus qui se mobilisent afin d’offrir des opportunités de développement social et économique aux communautés. Ce processus doit s’accompagner de mesures rigoureuses d’adaptation aux changements climatiques, en raison de l’impact disproportionné de ceux-ci sur les communautés de la RDC et notamment les activités agricoles de subsistance, largement menées par les femmes.

Cet article vise à dresser un portrait de la situation politique, sociale et environnementale des régions du Nord et Sud Kivu. Il s’agit d’illustrer dans quelle mesure une approche globale est nécessaire pour améliorer les conditions de vie des femmes de ces régions, en intégrant à la fois une sensibilité aux conflits et aux changements climatiques. Ce type d’approche est essentielle pour lutter collectivement contre les inégalités de genre et atteindre les objectifs de développement durable.

L’impact des conflits et déstabilisations sécuritaires sur les conditions de vie des femmes congolaises

La RDC est touchée par la plus longue crise humanitaire en Afrique et l’une des plus importantes crises de personnes déplacées au sein d’un pays. Les tensions alimentaires, économiques et communautaires se sont intensifiées récemment. En effet, le Nord-Kivu, en guerre depuis plusieurs décennies, est actuellement atteint par la reprise des affrontements entre les groupes rebelles et l’armée congolaise. La ville de Bukavu, située au Sud-Kivu, subit directement les impacts du conflit puisque ses routes d’approvisionnement ont été bloquées par le groupe rebelle rwandais M23, provoquant une pénurie alimentaire dans la ville.

Les conflits créent généralement un contexte propice aux violences sexuelles, qui sont utilisées, le plus souvent contre les femmes et les filles, comme armes de guerre. Les organisations locales et internationales ont récemment sonné l’alarme sur l’augmentation rapide de la fréquence et de la sévérité des violences sexuelles dans la région de l’Est du Congo : plus de la moitié des personnes ayant demandé de l’aide suite à des violences basées sur le genre ont attesté avoir vécu des viols. Considérant que les agressions sexuelles sont souvent sous-reportées à cause du manque de ressources, de la stigmatisation sociale et de la crainte de représailles, ce chiffre est d’autant plus inquiétant. Les femmes et les filles interrogées par diverses agences de l’ONU présentes dans la région, comme le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) ou le Programme alimentaire mondial (PAM), rapportent des craintes et des violences fréquentes lorsqu’elles s’aventurent en dehors de leurs foyers ou des camps de réfugié-e-s, pour s’approvisionner en eau, en nourriture ou en bois.

La déstabilisation de la région par les groupes armés touche ainsi démesurément les femmes, engendrant un nombre accru d’agressions sexuelles et physiques et ayant un impact direct sur leurs activités quotidiennes (de subsistance la plupart du temps).

L’adaptation aux changements climatiques devient un enjeu pour les foyers, et surtout pour les femmes

La RDC est par ailleurs un pays présentant un degré élevé de vulnérabilité aux changements climatiques. Il est prévu que l’augmentation des températures pourrait, à elle seule, entraîner un risque accru d’insécurité alimentaire et de prolifération de maladies hydriques comme le choléra. En effet, une étude menée entre 1980 et 2016 dans la région de Bukavu, au bord du lac Kivu, montre les effets négatifs des perturbations climatiques sur les cultures, notamment de manioc – mais aussi de haricot, de maïs et de pomme de terre, issues des activités de maraîchage.

Ces perturbations climatiques génèrent une insécurité alimentaire dans les ménages les plus vulnérables et la charge d’adaptation à ces aléas revient en grande partie aux femmes, qui sont responsables de l’agriculture de subsistance. Leur production et leurs revenus impactent directement le niveau de vie de leurs foyers et, par extension, de leurs communautés.

Un projet, dénommé “Femmes en Action” et financé par Affaires mondiales Canada (AMC), actuellement mené par un consortium composé de la Fondation Paul Gérin-Lajoie et du Jane Goodall Institute Canada s’inscrit dans cette optique, en adoptant une approche globale et holistique, fondée sur les droits et visant à la fois la protection et la restauration de la biodiversité des zones dans lesquelles les femmes vivent et travaillent, et l’amélioration de leur sécurité alimentaire, de leurs revenus et leurs conditions de vie.

Le projet Femmes en Action tend ainsi au développement d’un plaidoyer en faveur de l’autonomisation des femmes et de leurs droits fonciers et environnementaux, ainsi qu’à la mise en œuvre d’activités de renforcement de capacités connexes, comme par exemple en alphabétisation et en leadership. Le projet se déploie à travers trois dimensions :

  1. L’adoption des Solutions Fondées sur la Nature pour l’adaptation aux changements climatiques dans les filières agricole et forestière, en accompagnant et renforçant les capacités à la fois des femmes agricultrices et des professionnels environnementaux comme les services techniques et éco-gardes en charge des forêts;
  2. L’amélioration du contrôle par les femmes de leur production, permettant les ressources nécessaires à la croissance de leurs activités génératrices de revenus. Elles sont notamment accompagnées sur les techniques de commercialisation de leurs produits ;
  3. L’accroissement de l’influence sur les communautés et les décideurs pour prendre en compte les enjeux climatiques et de biodiversité, à travers la mise en place d’un plaidoyer à l’échelle nationale pour les droits fonciers des femmes et le déploiement de campagnes de sensibilisation aux changements climatiques.

À terme, il s’agit d’accroître l’adaptation aux changements climatiques des jeunes femmes vulnérables et d’assurer la conservation des milieux naturels dans lesquelles elles vivent et travaillent.

Conclusion

Pour conclure, les femmes et les filles des communautés du Nord et Sud Kivu vivent de nombreux enjeux, liés à la fois au contexte de conflit régional et aux changements climatiques qui bouleversent leurs activités agricoles de subsistance. De même, des enjeux se reflètent également au sein même de leurs communautés, en impactant  notamment leur accès à la terre et le respect de leurs droits fonciers. Dans une perspective de justice sociale et climatique, c’est à dire l’égalité de tous et toutes notamment dans la prise en compte des conséquences des changements climatiques, et à l’horizon des objectifs de développement durable, il est plus que jamais nécessaire d’apporter un soutien financier et humain aux nombreuses organisations locales qui œuvrent dans la région en faveur de la paix, de la résilience face aux changements climatiques et de l’avancement des droits des femmes et des filles. Ces organisations mènent un travail crucial en accompagnant les femmes dans leur production et la commercialisation de leurs produits, et en leur offrant différentes opportunités de renforcement de capacités, en alphabétisation fonctionnelle et littératie financière notamment. Elles participent également à un plaidoyer pour l’élargissement des droits fonciers des femmes et la sensibilisation de la population aux changements climatiques. Finalement, elles font la promotion de meilleures pratiques agricoles, notamment en termes d’adaptation aux aléas climatiques.


Liv Cerba, chargée de projets internationaux junior à la Fondation Paul Gérin-Lajoie à Montréal, Canada

Perpétue Boku chargée de communications à la Coalition des femmes leaders pour l’environnement et le développement durable (CFLEDD) à Kinshasa, RDC

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