La protection des langues en voie de disparition : un impératif culturel et social

Blogue Un seul monde, 3 juin 2024, Kim-Mi Bui

Aujourd’hui, plus de 43 % des 6 700 langues parlées mondialement sont menacées de disparition. Seules quelques centaines sont intégrées dans l’éducation et l’espace public, et moins de 100 sont présentes dans le monde numérique. En moyenne, une langue disparaît toutes les deux semaines, emportant avec elle un patrimoine historique et intellectuel. Chaque langue est le reflet d’une culture, souvent celle de minorités et de peuples autochtones, essentielle pour préserver notre diversité culturelle mondiale. Elles transmettent des normes, des valeurs, et des savoirs traditionnels, favorisant ainsi des avenirs durables. Les sociétés multiculturelles dépendent de leurs langues pour communiquer et partager les différences culturelles, soulignant l’importance de protéger la diversité linguistique. Les langues jouent un rôle crucial dans l’identité, la communication, l’intégration sociale, l’éducation et le développement des communautés. Cependant, la mondialisation menace ces trésors linguistiques en favorisant l’uniformisation culturelle. Les langues dominantes, comme l’anglais, l’espagnol ou le mandarin, gagnent du terrain, réduisant l’espace pour les langues moins parlées. Cette dynamique conduit à une réduction de la diversité culturelle et de la richesse humaine, avec la disparition de perspectives uniques, de traditions, de mémoires collectives, et de modes de pensée et d’expression.  

Pour souligner l’importance du multilinguisme et promouvoir la diversité linguistique et culturelle, la Journée internationale de la langue maternelle est célébrée le 21 février. Initiée par le Bangladesh et adoptée par l’UNESCO en 1999, cette journée célèbre la diversité linguistique et culturelle mondiale. L’UNESCO souligne l’importance du multilinguisme pour le développement durable et la préservation de la paix, encourageant la célébration dans diverses langues pour sensibiliser sur les langues en voie de disparition. La période de 2022 à 2032 a été déclarée Décennie internationale des langues autochtones par l’Assemblée générale des Nations Unies, visant à sensibiliser le monde à la situation précaire de nombreuses langues autochtones et à mobiliser les ressources nécessaires pour leur sauvegarde, leur revitalisation et leur mise en valeur. 

Contexte global de la préservation des langues 

Partout dans le monde, les langues autochtones et indigènes font face à des défis de préservation et de revitalisation. Par exemple, au Canada, bien que plus de 70 langues autochtones soient parlées, le nombre de locuteurs continue de diminuer. Cependant, l’intérêt pour la revitalisation de ces langues se manifeste par l’augmentation des locuteurs qui les apprennent comme langue seconde. En Australie, sur les quelque 250 langues aborigènes, seulement 13 sont parlées par toutes les générations, tandis qu’environ 100 sont en danger. Le gouvernement australien a initié plusieurs programmes de revitalisation, bien que des efforts supplémentaires soient nécessaires pour assurer leur survie à long terme. Au Mexique, malgré la présence de plus de 60 langues indigènes, beaucoup sont menacées. L’Institut national des langues indigènes (INALI) travaille à promouvoir et à protéger ces langues à travers l’éducation et la documentation linguistique. En Inde, avec sa diversité linguistique de plus de 1600 langues, de nombreuses langues tribales sont en danger, nécessitant des efforts de documentation et de revitalisation. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, où environ 850 langues sont parlées, la modernisation rapide et l’exode rural menacent leur survie. Au Kenya, des langues comme l’ogiek et l’elmolo sont au bord de l’extinction, mais des organisations locales et internationales collaborent pour les préserver à travers des programmes culturels et linguistiques. Bien que ces exemples n’illustrent qu’une simple représentation des langues en voie de disparition, il en existe beaucoup d’autres à travers le monde.  

La protection des langues : un enjeu démocratique et de droits humains 

À l’ère de la mondialisation, la protection des langues autochtones en voie de disparition devient cruciale, touchant au cœur même de la démocratie et des droits humains. Les langues autochtones sont le reflet des identités, des histoires, des connaissances et des perspectives uniques des peuples autochtones. Reconnaître et protéger les droits linguistiques de ces communautés n’est pas seulement une question de préservation culturelle, mais aussi un enjeu de justice sociale et de participation politique. Les communautés autochtones dont les langues sont menacées se retrouvent souvent marginalisées dans les processus politiques, leurs voix étant moins entendues ou prises en compte. Cette exclusion a des répercussions sur leur capacité à influencer les politiques qui les affectent directement et sur la santé globale du régime politique. 

Les langues autochtones sont bien plus que des moyens de communication ; elles incarnent l’expression même de la diversité culturelle et de l’identité des peuples autochtones. Dans un contexte démocratique, la préservation et la promotion de ces langues sont essentielles pour garantir une représentation équitable et une participation authentique des communautés autochtones. La diversité linguistique est une composante fondamentale de la diversité culturelle, qui, à son tour, est un pilier de la démocratie inclusive. 

De plus, la diversité linguistique autochtone reste intrinsèquement liée aux droits humains, notamment le droit à la liberté d’expression, le droit à l’éducation dans sa langue maternelle, le droit à la participation politique et le droit à la préservation de l’identité. La protection des langues autochtones est donc une question de droits fondamentaux, car elle garantit que chaque individu a le droit de s’exprimer, d’apprendre et de participer à la vie sociale et politique dans sa langue maternelle. Les droits linguistiques comprennent le droit à l’usage de sa langue maternelle dans tous les domaines de la vie publique et privée, y compris dans l’administration publique, l’éducation, la justice, les médias et la vie culturelle. Les violations de ces droits peuvent entraîner la marginalisation, la discrimination et l’exclusion des communautés autochtones, compromettant ainsi les principes fondamentaux de l’égalité et de la non-discrimination. 

Dans de nombreuses sociétés, les politiques linguistiques ont un impact direct sur l’accès à l’éducation, aux médias, à la participation politique et à la vie publique des peuples autochtones. Les gouvernements ont le devoir de reconnaître et de soutenir la diversité linguistique en mettant en place des politiques favorables à la protection des langues autochtones. Cela inclut la reconnaissance officielle des langues, le soutien financier pour la préservation et l’enseignement des langues menacées, ainsi que la promotion de l’usage des langues autochtones dans les institutions publiques. Dans un contexte mondial, les instruments juridiques internationaux, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), la Convention n° 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) concernant les peuples indigènes et tribaux, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO de 2005, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD), la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), reconnaissent l’importance de la diversité linguistique et la protection des langues autochtones comme des éléments essentiels des droits humains. Ces instruments appellent les États à prendre des mesures efficaces pour préserver et promouvoir la diversité linguistique autochtone dans le cadre de leurs obligations en matière de droits humains. 

Conclusion 

Protéger les langues en voie de disparition n’est pas seulement une question de sauvegarde culturelle, mais un impératif pour la justice sociale, les droits humains et la démocratie. La diversité linguistique enrichit notre patrimoine culturel et est essentielle pour une société inclusive et équitable. Les efforts pour revitaliser et promouvoir ces langues doivent être soutenus par des politiques publiques robustes et un engagement international constant. Par exemple, la Décennie internationale des langues autochtones 2022-2032 vise à sensibiliser le public à l’importance de préserver les langues autochtones menacées et à encourager des actions concrètes pour leur revitalisation. Dans ce cadre, des initiatives comme le programme Missing Scripts utilisent les technologies modernes pour documenter et revitaliser les langues en danger. La diversité linguistique est un pilier de la tolérance et du respect mutuel, et sa protection est cruciale pour un avenir durable et harmonieux. Par conséquent, il est aujourd’hui urgent d’agir pour une meilleure protection du patrimoine linguistique autochtone. Par exemple, cela pourrait se traduire par une introduction à certaines langues autochtones dans l’éducation au Québec et au Canada. Si la Décennie internationale des langues autochtones permet d’attirer l’attention sur cet enjeu critique, de nombreux efforts sont encore nécessaires.  


Kim-mi Bui, responsable communication et réseaux sociaux de l’IEIM, et étudiante à la maitrise en droit international à l’UQAM

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