Les crimes contre l’environnement en contexte de conflit armé : prochaine cible de la Cour pénale internationale ?

Blogue Un seul monde, Brendan Le Rossignol, 2 juin 2025

Depuis la signature du Statut de Rome en 1998, qui a créé la Cour pénale internationale (CPI) pour traiter d’une liste restreinte de crimes internationaux, notamment en contexte de conflit armé, peu de changements y ont été apportés. Seul le crime d’agression a été ajouté aux crimes traités par la Cour. Ce crime a été mentionné à l’article 5 du Statut de Rome dès 1998, mais sa définition n’a été ajoutée qu’en 2010 à l’article 8 bis du Statut, suivi de son application par la Cour sous réserve de certaines conditions.

Hormis cette modification des crimes visés par le Statut de Rome, plus technique que substantielle, aucun nouveau crime n’a été ajouté à la compétence de la Cour depuis sa mise en activité en 2002. Cependant, tout récemment, le procureur de la CPI, Karim Khan, en poste depuis 2021, a présenté son intention de poursuivre les responsables de certains crimes contre l’environnement commis dans des zones de conflit.

Parmi les crimes contre l’environnement l’on peut penser aux pillages de ressources naturelles et à la destruction d’écosystème. Si les crimes contre l’environnement n’atteignement pas et ne visent pas directement les populations, ce sont elles qui subissent les conséquences graves de ces atteintes, tel que des déplacements, des souffrances et même des pertes économiques. Dans un angle plus philosophique, les destructions graves de l’environnement, qui est le patrimoine de l’humanité, peuvent très bien se justifier comme des crimes contre l’humanité. Étant donné que ces violations sont souvent commises dans des contextes internationaux et de conflits armés, la CPI semble être le tribunal idéal pour traiter de ces crimes contre l’environnement comme le croit son procureur.

Cette volonté du procureur de la CPI a offert un regain de nouveauté sur les perspectives du rôle de la Cour en matière d’infractions internationales. Le rôle que la Cour pourrait jouer afin de poursuivre les auteurs de crime grave contre l’environnement, parfois nommé crime « d’écocide », est d’autant plus intéressant dû à son fonctionnement unique. En effet, deux éléments renforcent l’idée d’intégrer les crimes d’écocide dans le système pénal international de la CPI.

  1. D’abord, les dispositions du Statut de Rome permettent de contourner l’immunité des dirigeants étatiques, ce qui a été confirmé en matière de droit international coutumier dans une décision demandée par la Jordanie. Il serait donc possible de combattre leur impunité pour les atteintes graves à l’environnement.
  2. La deuxième raison est représentée par le mécanisme du Statut de Rome qui permet au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) de déférer une situation à la CPI, et ce, bien que l’État visé ne fasse pas partie de la CPI et du Statut de Rome. Ceci est alors un autre moyen de combattre l’impunité des crimes contre l’environnement, et ce nonobstant l’état actuellement dysfonctionnel du CSNU du fait de ses vetos. La question se pose quant à l’intégration des crimes contre l’environnement dans le système pénal international, par l’approche du procureur ou par une réforme.

L’approche favorisée par le procureur de la CPI

Dans sa déclaration en 2024, Karim Khan souhaitait que son bureau développe une politique claire afin de poursuivre. L’approche du procureur est plutôt modérée, car il vise à poursuivre ces crimes dans le cadre légal déjà existant – c’est-à-dire au travers des quatre crimes déjà visés par la CPI que constitue le crime d’agression, le crime contre l’humanité, le crime de guerre et le crime de génocide. Cette approche suit la logique selon laquelle, l’attaque d’une centrale nucléaire, par exemple, constitue un crime de guerre, et que cette infraction cause aussi des dommages graves à l’environnement. Le procureur de la CPI souhaite ainsi pouvoir fonder des poursuites sur ces éléments d’atteintes graves à l’environnement dans le cadre plus large des quatre crimes prévus par le Statut de Rome. Un certain précédent existe dans la jurisprudence de la Cour qui a timidement reconnu un certain lien entre les atteintes à l’environnement et les crimes du Statut de Rome. Dans l’affaire Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir du président soudanais déchu, la Cour a tranché que la destruction, la pollution et l’empoisonnement par ses forces gouvernementales de puits utilisées par la population s’inscrivaient dans les actes génocidaires dont il est accusé. Cette approche prudente du procureur pour intégrer les crimes environnementaux dans les poursuites de la CPI peut surtout s’expliquer par la réticence des États à s’embarquer dans de nouvelles négociations pour modifier le Statut de Rome. Ces négociations deviennent souvent peu efficaces et finissent par se bloquer, le plus souvent, pour des raisons d’intérêts divergents entre les États. le plus souvent, pour des raisons d’intérêts divergents entre les États.

L’écocide en contexte de conflit, un nouveau crime à part entière ?

L’autre approche pour intégrer les crimes graves contre l’environnement en contexte de conflits armés serait de créer un crime à part entière dans le Statut de Rome. Cette approche permettrait de faciliter les poursuites de crimes d’écocide. En effet, les dispositions actuelles des crimes prévus par le Statut de Rome, notamment le crime de guerre, nécessitent un seuil très élevé de conséquence sur l’environnement pour poursuivre en vertu du Statut de Rome. Parmi les éléments de crime de la CPI, un document détaillant les composantes des crimes internationaux visées par la Cour, le crime de guerre pour dommages excessifs requiert « des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs ». Le caractère « manifestement excessif » est un critère qui utilise de nombreux facteurs dans son analyse, particulièrement les objectifs militaires derrière l’attaque . En effet, le caractère excessif signifie que l’attaque et ses conséquences sont disproportionnées par rapport aux avantages militaires directs et concrets pour le belligérant. Par exemple, si l’on regarde l’armée américaine qui a utilisé l’agent orange au Vietnam pour tuer la végétation de forêts entières, l’on peut alors évoquer une disproportionnalité totale avec l’objectif de localiser les troupes ennemies. Un autre exemple de disproportion est la destruction des puits de pétrole et leur embrasement par les troupes de Saddam Hussein au Koweït durant la guerre du golfe afin de ralentir l’avancée de la coalition. Cependant, la difficulté reste dans la capacité du procureur de renverser tout argument que les conséquences de l’attaque n’étaient pas excessives au vu des objectifs militaires. S’ajoutent aussi les limitations du Statut de Rome sur les compétences de la Cour à intervenir et sa subordination à la souveraineté des autorités nationales.

De ce fait, créer un nouveau crime dans le Statut de Rome permettrait d’utiliser des critères beaucoup plus clairs et objectifs pour déterminer le caractère démesuré des conséquences environnementales d’une attaque. Ce qui permettrait une réelle responsabilité pour les écocides commis en contexte de guerre. La difficulté avec cette approche est que plusieurs États risquent de s’y opposer, étant donné que la mise en place d’une définition plus claire avec un seuil plus bas risquerait de limiter davantage la capacité de mener des opérations militaires sans risquer des poursuites. Cependant, d’autres États militent au contraire pour la reconnaissance des crimes d’écocide, comme la Belgique. C’est aussi le cas de l’Ukraine, qui plaide depuis le début de l’invasion russe être victime de crimes d’écocide et pour sa reconnaissance, dont notamment la destruction tristement célèbre du barrage de Kakhovka en 2023. En ce sens, l’Ukraine estime à 85 milliards de dollars les dommages environnementaux causés par la Russie dont au moins 14 cas sont qualifiables d’écocide en vertu du Code pénal ukrainien. De plus, la reconnaissance du crime d’écocide pourrait notamment permettre de tenir responsable la Russie, des immenses superficies de terres agricoles rendues non utilisables pour des décennies en raison de l’utilisation de mines et d’obus. Plusieurs n’explosent pas, ce qui rend alors de grandes zones inhabitables et dangereuses pour l’agriculture.

La reconnaissance d’un crime d’écocide permettrait aussi de mieux combattre l’impunité de certains types de pillages et pollutions liées à l’extraction de minerais pendant des conflits armés. C’est notamment le cas des guerres liées au diamant en Afrique, mais aussi des activités militaires de l’Ouganda, du Burundi et du Rwanda sur le territoire de la République démocratique du Congo (RDC) depuis la fin des années 1990. En ce sens, l’Ouganda a été reconnu responsable de pillages de ressources sur le sol de la RDC par la Cour internationale de justice dans les arrêts de 2005 et 2022 de l’affaire Activités armée sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda). Cependant, l’absence de crime spécifique à ces types d’écocide dans le droit pénal international facilite l’impunité des individus responsables de ces gestes. Finalement, il est important de noter que la création de ce type de crime à la Cour pénale internationale combiné à l’ajout d’un article sur la responsabilité des personnes morales pourrait permettre de faciliter la poursuite de hauts responsables d’entreprises multinationales minières ou forestières qui commettent des atteintes graves à l’environnement. En effet, plusieurs multinationales sont notamment complices de crimes de guerre commis en leur nom ou par aveuglement volontaire. Par exemple, des entreprises allemandes au Libéria ont été accusées d’acheter des produits forestiers pillés durant la guerre civile. Il est aussi intéressant de regarder les conséquences de l’exploitation de ressources par certaines multinationales. C’est le cas de l’affaire Kiobel et al. v. Royal Dutch Petroleum et al. où cette multinationale pétrolière était poursuivie devant la Cour suprême des États-Unis pour les atrocités commises par des autorités nigériennes afin d’assurer le bon déroulement des opérations de forage. Les juristes internationaux devront cependant trancher le débat actuel sur la mens rea (l’état d’esprit de l’accusé) nécessaire du crime d’écocide, qui se fonderait probablement sur l’intention et la connaissance du contexte ou même l’imprudence et la négligence.

Conclusion

En conclusion, l’approche actuelle du procureur de la CPI, Karim Khan, constitue une voie prometteuse pour le futur de la Cour. L’interprétation des atteintes graves à l’environnement à travers les crimes déjà reconnus par le Statut de Rome permet des avancées modestes et prudentes sans passer par des négociations au sein des États parties du Statut.

D’un autre côté, la reconnaissance d’un crime autonome d’écocide, malgré les obstacles des États, pourrait réellement combattre l’impunité, tout en élargissant la définition des crimes environnementaux. Le droit pénal international semble désormais beaucoup plus réceptif à la reconnaissance de crimes concernant les atteintes directes à l’environnement et non seulement à ceux d’atteintes directes envers les individus et les populations. En effet, les atteintes à l’environnement posent des conséquences multiformes qui se répercutent gravement auprès des populations.   Une telle évolution serait un tournant marquant, mais il revient au procureur et aux États parties de choisir l’approche prudente ou de faire preuve d’audace en réformant la justice pénale internationale pour y intégrer les crimes environnementaux.

Il reste aussi l’option d’une troisième voie, un tribunal international spécialisé et la ratification d’un traité à part entière sur les crimes d’écocide, mais cette option reste peu probable dans le contexte international actuel. À une époque où l’environnement mondial tient à un fil et où les technologies militaires deviennent de plus en plus puissantes, l’impunité face aux crimes d’écocide ne peut plus continuer. Cette avancée possible du droit pénal international devra cependant s’accompagner d’autres réformes pour donner au droit international une meilleure effectivité en ces temps de crises et d’insécurités.


Auteur :

Brendan Le Rossignol, étudiant au baccalauréat en droit à l’UQAM et détenteur d’un B.A. en relations internationales et droit international. Président du Comité de droit international de l’UQAM.

Partenaires

Banque ScotiaMinistère des Relations internationales et de la Francophonie | Québec Faculté de science politique et de droit | UQAM

Institut d’études internationales de Montréal (IEIM)

Adresse civique

Institut d’études internationales de Montréal
Université du Québec à Montréal
400, rue Sainte-Catherine Est
Bureau A-1540, Pavillon Hubert-Aquin
Montréal (Québec) H2L 3C5

* Voir le plan du campus

Téléphone 514 987-3667
Courriel ieim@uqam.ca
UQAM www.uqam.ca

Un institut montréalais tourné vers le monde, depuis 20 ans!

— Bernard Derome, Président

Créé en 2002, l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM) est un pôle d’excellence bien ancré dans la communauté montréalaise. Les activités de l’IEIM et de ses constituantes mobilisent tant le milieu académique, les représentants gouvernementaux, le corps diplomatique que les citoyens intéressés par les enjeux internationaux. Par son réseau de partenaires privés, publics et institutionnels, l’Institut participe ainsi au développement de la « diplomatie du savoir » et contribue au choix de politiques publiques aux plans municipal, national et international.

Ma collaboration avec l’IEIM s’inscrit directement dans le souci que j’ai toujours eu de livrer au public une information pertinente et de haute qualité. Elle s’inscrit également au regard de la richesse des travaux de ses membres et de son réel engagement à diffuser, auprès de la population, des connaissances susceptibles de l’aider à mieux comprendre les grands enjeux internationaux d’aujourd’hui. Par mon engagement direct dans ses activités publiques depuis 2010, j’espère contribuer à son essor, et je suis fier de m’associer à une équipe aussi dynamique et impliquée que celle de l’Institut.

Bernard Derome

« L’ordre mondial, tel que l’on l’a connu depuis la fin de la guerre froide, est complètement bousculé avec des rivalités exacerbées entre les grandes puissances et des impérialismes démesurés. »

– Bernard Derome

Inscrivez-vous au Bulletin hebdomadaire!


Contribuez à l’essor et à la mission de l’Institut !