Alors que l’instabilité s’empare d’Haïti, Trudeau doit tenir sa promesse d’aide
Jérémy Cotton, candidat à la maîtrise en affaires internationales, Norman Paterson School of International Affairs, Université Carleton, 8 novembre 2021
Le contexte de l’accumulation des crises en Haïti
Le 7 juillet 2021, le président haïtien Jovenel Moïse a été assassiné dans des circonstances qui, même quatre mois plus tard, demeurent obscures. Son décès et la chasse à l’homme qui a suivi ont choqué Haïti et le monde entier.
La crise politique générée par cet événement n’est qu’une des crises que vivent actuellement les Haïtien.ne.s. La violence des gangs, le manque de vaccins contre la COVID-19 et l’état précaire des infrastructures de soins de santé sont des problèmes qui plongent Haïti dans un état plus accru d’instabilité. Le tremblement de terre de magnitude 7,2, survenu le 14 août, a considérablement aggravé la situation. En raison de l’instabilité, des milliers d’Haïtiens et d’Haïtiennes ont été contraints de fuir le pays, mettant ainsi de la pression sur d’autres États comme le Canada et les États-Unis pour qu’ils ouvrent leurs frontières.
La réponse du Canada
Après l’annonce de l’assassinat, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré sur Twitter que le Canada était prêt à aider Haïti. « Je condamne fermement l’effroyable assassinat du président Moïse perpétré ce matin », a écrit Trudeau. « Le Canada est prêt à soutenir la population d’Haïti et lui offre toute l’aide dont elle pourrait avoir besoin. »
Si l’offre de Trudeau est un beau geste de solidarité envers les Haïtiens et Haïtiennes, il soulève certes quelques questions.
Pourquoi le Canada a-t-il attendu que la situation soit aussi grave en Haïti pour offrir de l’aide au pays ?
Il n’y a nul doute que la pandémie a accaparé la majeure partie de l’attention de la communauté internationale en 2021. Cela étant dit — comme la plupart des Canadiens et Canadiennes sont entièrement vaccinés — l’assistance aux pays en développement qui peinent à garder la tête hors de l’eau devrait être l’une des principales priorités du Canada.
En créant le fonds #DonnezUnVaccin, le gouvernement Trudeau était sur la bonne voie pour aider les pays en développement à lutter contre la COVID-19. Jusqu’au 30 septembre dernier, ce fonds de contrepartie, créé en partenariat avec l’UNICEF, visait à fournir deux milliards de vaccins contre la COVID-19 à ces pays. Pour chaque don recueilli auprès de particuliers canadiens, le gouvernement Trudeau fournissait une contrepartie équivalente jusqu’à concurrence de 10 millions de dollars.
De manière similaire, le Canada a collaboré avec la Coalition humanitaire, un collectif de 9 ONG canadiennes, pour mettre en place un fonds de contrepartie pour aider les personnes touchées par le dernier séisme en Haïti. Au total, ce fonds a recueilli plus de 5,5 millions de dollars pour les victimes.
Haïti a longtemps lutté pour fournir des soins de santé et d’autres services fondamentaux à ses citoyens et citoyennes, mais aussi pour sortir sa population de la pauvreté. Le progrès stagnant des objectifs de développement durable (ODD) du pays, notamment avec la baisse des dépenses gouvernementales en matière de santé et d’éducation, et l’augmentation du taux de pauvreté, témoigne cependant de la persistance d’enjeux structurels. Pour cette raison, les fonds de contrepartie du Canada sont bienvenus en Haïti, mais ils sont largement insuffisants pour adresser la pauvreté et réduire la précarité du pays.
Doit-on s’attendre à une éventuelle baisse de l’aide internationale canadienne destinée à Haïti, comme ce fut le cas après les séismes de 2010 ?
Si le gouvernement Trudeau décide de tenir sa promesse d’augmenter l’aide internationale destinée à Haïti au courant de l’année 2021, ce ne sera pas la première fois que le Canada multiplie son aide internationale à Haïti en temps de situation d’urgence. Selon la Canadian International Development Platform (CIDP), au moment du séisme de janvier 2010, les contributions annuelles d’aide internationale du Canada à Haïti dépassaient 300 millions de dollars, soit une hausse impressionnante depuis les années précédentes et son summum bonum. En 2021, l’aide internationale du Canada pour Haïti pourrait très bien accoter cette somme.
Or, considérant la diminution abrupte des contributions canadiennes en Haïti après le séisme de 2010, on peut se demander si un niveau d’aide accru en 2021 serait également temporaire, et ce, malgré la persévérance des problèmes de pauvreté et de précarité d’Haïti. Depuis 2010, ce montant a considérablement diminué, pour atteindre aujourd’hui moins de 100 millions de dollars. Ainsi, Haïti a reçu 21 % moins d’aide internationale du Canada en 2011 qu’en 2010, ce qui représente la deuxième plus forte baisse d’aide internationale du Canada d’une année à l’autre. Espérons seulement qu’Haïti ne dépassera pas ce triste record en 2022.
Peut-être serait-il sage pour le Canada, cette fois-ci, d’accentuer ses contributions d’aide internationale à Haïti pour appuyer de façon durable la mise en place de stratégies à long terme, au lieu de jeter l’éponge dès la sortie de crise.
Comment un spectre élargi de l’APD du Canada pourrait-il mieux convenir à Haïti ?
Comme le souligne le site d’Affaires mondiales Canada, la majorité de l’aide internationale canadienne est octroyée sous forme d’aide publique au développement (APD), telle que définie dans la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle.
En tant que membre du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, le Canada est au courant de la modernisation de l’APD au sein de l’OCDE pour établir un nouveau cadre statistique qui améliore la crédibilité et l’exactitude de la mesure des prêts, qui accroit l’affectation des ressources à la mise en œuvre des ODD, qui favorise la transparence et qui maximise l’impact de l’APD sur le développement.
Si le Canada ne compte pas profiter de son siège au CAD pour accélérer le processus de modernisation de l’APD, il devrait au moins s’en inspirer pour revoir l’allocution de ses autres formes d’aide internationale, y compris l’aide humanitaire pour les situations d’urgence comme celle en Haïti. Pensons notamment à la MINUSTAH de 2004 à 2017. Cette mission des Casques bleus de l’ONU à laquelle participait le Canada avait pour but de restaurer un environnement sûr et stable en Haïti. Cette mission a pris fin en 2017, soit lorsque le Conseil de Sécurité a jugé que la situation s’était suffisamment améliorée. Non seulement serait-il pertinent pour le Canada de veiller à la réinstauration de cette mission onusienne en Haïti, mais il serait aussi pertinent qu’il suggère au CAD qu’une partie de l’APD soit allouée à de telles initiatives de solidarité internationale, qui contribuent à la stabilisation des contextes de crises.
Comment le Canada peut-il soutenir les Haïtien.ne.s davantage ?
Trudeau semble comprendre qu’Haïti a besoin d’aide localement, mais il devrait aller au-delà et aider les personnes fuyant Haïti pour chercher la protection du Canada. Pour ce faire, son gouvernement devrait trouver un moyen de recevoir davantage de demandes de réfugiés et d’asile.
En 2017, après l’une des annonces anti-immigration de l’ancien président américain Donald Trump, Trudeau a annoncé sur Twitter : « À ceux qui fuient la persécution, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueillera indépendamment de votre foi. La diversité fait notre force. #BienvenueAuCanada ». Or, à la suite de cette annonce, de nombreux Haïtiens et Haïtiennes ont tenté de s’installer au Canada. Malheureusement, ces personnes se sont rapidement heurtées aux processus complexes du Canada en matière de réfugiés et d’asile. En 2017, le Canada a d’ailleurs rejeté 90 % des demandes d’asile déposées par des Haïtiens et Haïtiennes. Le message accueillant de Trudeau était donc contradictoire par rapport à ce qui se passait aux frontières.
Depuis, le Canada n’a accepté qu’une fraction des demandes d’asile d’Haïti, et en 2020, seulement 37 % ont été reçues. Les autres ont soit été refusées, soit abandonnées en cours de route.
Le Canada apprendra-t-il de ses erreurs du passé ?
Cette année, l’histoire se répète. Le 13 juillet 2021, le secrétaire américain à la sécurité intérieure Alejandro Mayorkas a prévenu les Haïtien.ne.s et les Cubain.e.s en situation de crise qu’ils « ne viendront pas aux États-Unis » s’ils tentent de fuir leur pays par la mer. Puis, durant les élections fédérales canadiennes de 2021, le gouvernement de Trudeau a fait de nouvelles promesses aux personnes immigrantes et aux réfugiées, y compris l’augmentation des taux d’acceptation des demandes et la réduction des délais de traitement. Pour éviter d’imiter la posture plus stricte des États-Unis en matière d’immigration, le gouvernement nouvellement réélu de Trudeau devrait tenir les promesses électorales qu’il a faites aux Haïtien.ne.s.
Somme toute, l’augmentation de l’aide internationale proposée par le Canada est une bonne idée, mais le pays doit aussi déterminer comment rendre son aide plus efficace en Haïti. À ce sujet, une stratégie qui s’intéresse davantage aux enjeux de gouvernance locale et nationale pourrait avoir un impact plus durable.
Ce billet de blogue est une version modifiée d’un texte paru sur le site iAffairs Canada.
Crédit photo: EC/ECHO/I.Coello CC BY-NC-ND 2.0