Sous silence : la crise environnementale au Sahel que l’on préfère ignorer

Blogue Un seul monde, Emmy Vande Rosieren, 17 décembre 2024

Les promesses et paradoxes de la Grande Muraille Verte

La Grande Muraille Verte, lancée en 2007, est l’un des projets environnementaux les plus ambitieux jamais conçus. L’objectif : créer une bande végétale de près de 8 000 kilomètres à travers l’Afrique pour contrer la désertification et restaurer les écosystèmes. Ce projet, largement soutenu par des institutions comme l’Union africaine et la Banque mondiale, a souvent été présenté comme une solution miracle. Si 18 millions d’hectares de terres dégradées ont déjà été restaurées, cela ne représente pour le moment que 18% de la cible. Cependant, son impact potentiel va bien au-delà de la reforestation. La Grande Muraille Verte vise également à renforcer la sécurité alimentaire en revitalisant les terres agricoles et en introduisant des pratiques agroforestières, tout en créant des opportunités économiques pour les communautés locales. Elle ambitionne de générer 10 millions d’emplois et de fournir des sources d’énergie propres à des milliers de ménages, tout en aidant à stabiliser les sols et à séquestrer le carbone, contribuant ainsi à une résilience accrue face aux changements climatiques.

Tout de même, cette initiative se heurte à plusieurs obstacles. Sur le terrain, la coordination des efforts reste chaotique, avec des disparités notables entre les pays participants. Cependant, certains progrès encourageants émergent. Au Sénégal, par exemple, des avancées significatives ont été réalisées grâce à l’inclusion des communautés locales dans la gestion des terres, en concevant un modèle de gouvernance où celles-ci appartiennent aux communautés plutôt qu’à l’État. Cette approche a favorisé l’adhésion des populations, permettant une utilisation durable des ressources et des pratiques agricoles adaptées. À l’inverse, des pays comme le Niger peinent encore à mobiliser les ressources nécessaires pour reproduire ces succès. En outre, l’accent mis sur la plantation massive d’arbres néglige parfois les besoins immédiats des populations locales, créant une tension entre les objectifs environnementaux à long terme et les urgences socio-économiques. Par exemple, la gouvernance des zones reboisées pose un défi majeur, car les terres destinées à la plantation d’arbres sont souvent sous le contrôle de l’État plutôt que gérées par les communautés locales, ce qui pourrait notamment attirer les élites et faire fuir les agriculteurs locaux. Cette centralisation de la gestion crée des tensions, les populations se sentant exclues des décisions cruciales concernant l’utilisation de leurs terres, ce qui compromet la coopération avec les objectifs de la Grande Muraille Verte. De plus, les communautés locales sont insuffisamment impliquées dans l’entretien des arbres, un aspect essentiel pour assurer la pérennité des plantations.

La Grande Muraille Verte illustre par ailleurs un paradoxe fondamental : les projets internationaux, bien qu’ambitieux, échouent souvent à intégrer les réalités locales. Cette déconnexion fragilise leur impact durable. Pour réussir, ce programme doit aller au-delà d’une vision « top-down » et inclure activement les communautés dans la conception et la mise en œuvre des solutions.

Les financements verts : une ressource insuffisante

Le Global Environment Facility (GEF) et d’autres institutions financières internationales jouent un rôle clé dans le financement des initiatives environnementales au Sahel. Ces programmes financent des projets variés, comme la restauration des terres arables et la gestion durable des ressources en eau. L’Agence française de développement (AFD) soutient des projets éducatifs et agricoles dans le Sahel pour lutter contre la pauvreté et créer des opportunités économiques. Dans ce sens, l’AFD explique que « les pays sahéliens vont devoir produire un effort plus important pour accompagner les besoins de leurs populations et surtout ceux de la jeunesse”. Par exemple, le programme d’agriculture durable mis en place au Burkina Faso offre aux agriculteurs des outils et des formations pour améliorer leur rendement tout en respectant l’écosystème local. Ces initiatives cherchent à créer des emplois, réduire la pauvreté, et prévenir les migrations forcées causées par l’insécurité alimentaire. Pourtant, le manque de continuité dans les financements pose un problème structurel.

En effet, ces initiatives sont souvent limitées par des cycles de financement courts, qui ne permettent pas de répondre aux défis à long terme. Par exemple, la construction de réservoirs pour sécuriser l’accès à l’eau au Burkina Faso a montré des résultats prometteurs, mais ces projets restent fragmentés et sous-financés. Ce manque de financement entraîne souvent un manque d’entretien, ce qui donne lieu à des projets de réhabilitation. 

Les programmes actuels révèlent une dépendance excessive aux financements externes, ce qui expose les projets à une instabilité chronique.  Le Programme intégré de résilience au Sahel, dirigé par le Programme alimentaire mondial (PAM), est un exemple concret de projet environnemental au Sahel qui dépend fortement du financement extérieur. Cette initiative, qui couvre plusieurs pays sahéliens, dont le Niger et le Mali, vise à réhabiliter les terres, à améliorer la sécurité alimentaire et à relever les défis climatiques. Toutefois, ce programme est confronté à des difficultés en raison de sa dépendance à l’égard du soutien financier extérieur, qui peut être instable, en particulier lorsque les conditions politiques et sécuritaires dans la région se dégradent. Par exemple, il vise à s’étendre sur une vaste zone d’ici 2028, pour atteindre des millions de personnes. Mais ces objectifs dépendent d’un financement et de partenariats internationaux cohérents. Si les priorités des donateurs changent ou si les ressources diminuent, la durabilité et l’impact à long terme du projet pourraient être compromis, en particulier dans les zones touchées par des troubles politiques ou des problèmes de sécurité. De plus, la récente sortie de certains pays sahéliens de la CEDEAO, combinée à l’instabilité croissante liée au terrorisme, limite la confiance des donateurs extérieurs et freine l’apport de financements essentiels à ces initiatives.

Pour maximiser leur impact, les bailleurs de fonds devraient adopter une approche intégrée, associant financements pérennes et partenariats publics-privés pour garantir la durabilité des initiatives.

Une coopération internationale fragmentée

La multitude d’acteurs impliqués dans les projets environnementaux du Sahel (gouvernements, ONG, institutions internationales) reflète une mobilisation importante mais désordonnée. Cette fragmentation limite l’efficacité des initiatives. Par ailleurs, le contexte géopolitique exacerbe ces défis. Les récentes alliances entre certains États sahéliens et des puissances comme la Russie modifient les dynamiques de coopération, rendant encore plus complexe la mise en place d’efforts coordonnés.

L’insécurité au Sahel renforce la crise alimentaire en créant un cercle vicieux où la violence et les conflits alimentent l’instabilité et les pénuries alimentaires. Les groupes armés ont un impact direct sur l’agriculture en limitant l’accès des populations aux terres cultivables, en perturbant les chaînes d’approvisionnement et en réduisant la capacité des agriculteurs à semer et récolter leurs cultures. Cette situation augmente la précarité alimentaire, les pénuries et la hausse des prix, rendant encore plus difficile pour les populations locales de subvenir à leurs besoins de base. En parallèle, la violence a également un effet indirect en obligeant des milliers de personnes à fuir leurs foyers, augmentant ainsi les déplacements forcés et la pression sur les zones urbaines et rurales. Cela empêche une réponse coordonnée et rapide à l’insécurité alimentaire, car l’aide humanitaire devient de plus en plus difficile à coordonner dans les zones touchées par les conflits. Des rapports de l’ONU et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont souligné que cette dynamique contribue à une instabilité alimentaire persistante dans la région, exacerbant la pauvreté et l’insécurité alimentaire parmi les populations les plus vulnérables. « À travers le Sahel, la violence et les conflits croissants menacent les vies et les moyens de subsistance, forçant les familles à fuir leurs maisons et empêchant l’accès aux services sociaux de base » souligne l’ONU. En effet, les incursions récurrentes des groupes terroristes armés exposent les populations civiles à une spirale de violences continues, réduisant ainsi les possibilités de développement et limitant l’impact des initiatives pourtant cruciales mises en place.

L’absence d’une vision commune entrave les résultats concrets des programmes. Une centralisation des efforts, par le biais d’une plateforme régionale inclusive, pourrait permettre une meilleure coordination et une répartition efficace des ressources. Parallèlement, la mobilisation et l’implication des communautés locales, comme cela a été observé au Sénégal, seraient des leviers essentiels pour une gestion localisée des ressources naturelles. Ce modèle favorise une réponse plus adaptée aux défis environnementaux tout en tenant compte des enjeux socio-économiques spécifiques à chaque région. En intégrant les communautés dans les processus de décision, les projets environnementaux seraient non seulement plus durables, mais également mieux alignés avec les besoins et réalités locales.

Conclusion : l’environnement ; clé de la stabilité au Sahel

La dernière COP “du financement” à Bakou et la COP sur la biodiversité à Cali exposent les limites de la coopération internationale en matière environnementale. De même, la recrudescence des tendances conservatrices au sein des gouvernements à travers le monde soulève de nombreuses inquiétudes quant à la considération des préoccupations environnementales. Depuis ces dernières semaines, l’accord de Paris se retrouve d’ailleurs plus que jamais fragilisé et l’aide financière attendue des pays développés pour aider les pays en développement dans leur transition durable fait aujourd’hui face au risque d’une promesse creuse.

Les initiatives environnementales dans le Sahel doivent adopter une approche holistique, alliant résilience climatique, développement économique et implication locale. Les projets plus localisés, qu’ils soient régionaux, nationaux ou communautaires, sont particulièrement efficaces car ils sensibilisent directement les populations et les impliquent dans la gestion de leurs ressources. Cela réduit leur insécurité alimentaire et économique, tout en renforçant leur résilience face aux changements climatiques. Par exemple, des projets de reboisement menés à l’échelle locale ont non seulement restauré les terres, mais ont aussi créé des emplois, contribuant ainsi à la stabilité des communautés et à leur développement durable.

Pour finir, le Sahel offre une opportunité unique de repenser la coopération internationale : au lieu de se limiter à des interventions ponctuelles, les acteurs mondiaux doivent intégrer l’environnement dans une stratégie globale qui lie durablement sécurité, développement et équité sociale, et permette de favoriser une approche plus inclusive et participative des communautés rurales.


Autrice : Emmy Vande Rosieren, étudiante dans un certificat en journalisme à l’Université de Montréal.

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