Risque d’enlisement

12 avril 2011, Justin Massie

Justin Massie. «Risque d’enlisement», La Presse, 12 avril 2011.

Il fallait s’y attendre, la politique étrangère canadienne est largement absente de la présente campagne électorale. Pourtant, le Canada est engagé dans une quatrième guerre en moins de dix ans et sur deux théâtres simultanés. Et la guerre en Libye risque d’engager le Canada dans un conflit aussi long et difficile que celui en Afghanistan.

Tous les partis politiques fédéraux ont applaudi l’engagement militaire canadien, sur la base d’une obligation morale d’intervenir. Or l’idée de «responsabilité de protéger» n’implique pas uniquement le devoir de prévenir les violations massives des droits de la personne, mais également celui de reconstruire le pays ravagé par la guerre et de l’accompagner vers une paix durable. Il incombe donc au Canada, après ses frappes aériennes, d’assurer la transition politique, économique et sociale en Libye vers la paix, processus qui ne peut s’effectuer dans le court terme et à peu de frais pour les contribuables canadiens.

Le gouvernement Harper a promis de tenir un débat au parlement après trois mois d’engagement militaire. Les plateformes électorales des partis de l’opposition amènent cependant à penser qu’ils appuieront le prolongement de la mission canadienne. Les libéraux souhaitent que la doctrine de la responsabilité de protéger «fasse l’objet d’une plus grande adhésion» et qu’elle soit élargie, citant spécialement le cas libyen. Quant aux Bloc québécois, il appuie également cette doctrine, citant le cas du Kosovo où, justement, la communauté internationale – dont le Canada – est toujours présente, 12 ans après les bombardements aériens, afin d’assurer la transition vers une paix durable.

Le risque d’enlisement, auquel font référence plusieurs au sein de la coalition, est ainsi tangible pour le Canada. D’abord, le désengagement militaire partiel des États-Unis augmente le fardeau des alliés, dont celui du pays au cinquième rang des plus importants contributeurs à la mission, le Canada. Autant Paris, Londres qu’Ottawa ont d’ailleurs récemment accru leurs forces militaires déployées dans le conflit.

Ensuite, le fait que ce soit un général canadien qui dirige l’opération de l’OTAN augmente nécessairement la responsabilité du pays à maintenir son engagement militaire substantiel. C’est précisément cette contribution militaire de premier plan qui a permis au Canada d’obtenir ce poste de commandement.

Le risque d’enlisement tient également à l’issue incertaine de cette guerre humanitaire préventive. Au moins quatre options s’offrent à la coalition de volontaires. Premièrement, l’accroissement de moyens aériens. Alors que le chef militaire des rebelles libyens réclame l’envoi d’hélicoptères de combat, le New York Times propose que les États-Unis déploient des avions capables de neutraliser les blindés et l’artillerie des forces de Kadhafi. Mais si seuls les États-Unis possèdent de tels appareils, l’administration Obama souhaite plutôt réduire sa présence militaire en Libye et juge que la puissance aérienne pourrait difficilement sceller, à elle seule, l’issue de cette guerre.

Seconde option: le déploiement de troupes clandestines et/ou privées afin d’armer et d’entraîner les forces rebelles. Or la possibilité que les forces rebelles, même armées et encadrées, puisse renverser le régime de Kadhafi est jugée peu probable par les états-majors alliés, qui craignent d’ailleurs d’armer, au passage, des membres d’Al-Qaïda.

La troisième option est encore plus risquée: elle consiste au déploiement de troupes au sol par les forces occidentales. Rejetée d’emblée par toutes les capitales, elle entraînerait assurément un enlisement à long terme du Canada dans le pays.

Enfin, reste une solution négociée qui inclurait le départ du colonel Kadhafi ainsi qu’un cessez-le-feu. La Turquie et l’Union africaine travaillent actuellement en ce sens. Si, pour une raison ou une autre, le régime libyen se pliait réellement à un cessez-le-feu, la mise en place de celui-ci impliquerait nécessairement des troupes au sol, vraisemblablement de la part d’États de la région, appuyés par la coalition.

Qu’importe l’issue de la guerre en Libye, il semble donc que le Canada sera appelé à y rester engagé longtemps, que ce soit sur le plan militaire, civil ou humanitaire. Du moins, la doctrine qui justifie la quatrième guerre du Canada en 10 ans en réclame autant.

L’auteur est professeur adjoint à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa et chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennes de l’UQAM.

Partenaires

Banque ScotiaMinistère des Relations internationales et de la Francophonie | Québec Faculté de science politique et de droit | UQAM

Institut d’études internationales de Montréal (IEIM)

Adresse civique

Institut d’études internationales de Montréal
Université du Québec à Montréal
400, rue Sainte-Catherine Est
Bureau A-1540, Pavillon Hubert-Aquin
Montréal (Québec) H2L 3C5

* Voir le plan du campus

Téléphone 514 987-3667
Courriel ieim@uqam.ca
UQAM www.uqam.ca

Un institut montréalais tourné vers le monde, depuis 20 ans!

— Bernard Derome, Président

Créé en 2002, l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM) est un pôle d’excellence bien ancré dans la communauté montréalaise. Les activités de l’IEIM et de ses constituantes mobilisent tant le milieu académique, les représentants gouvernementaux, le corps diplomatique que les citoyens intéressés par les enjeux internationaux. Par son réseau de partenaires privés, publics et institutionnels, l’Institut participe ainsi au développement de la « diplomatie du savoir » et contribue au choix de politiques publiques aux plans municipal, national et international.

Ma collaboration avec l’IEIM s’inscrit directement dans le souci que j’ai toujours eu de livrer au public une information pertinente et de haute qualité. Elle s’inscrit également au regard de la richesse des travaux de ses membres et de son réel engagement à diffuser, auprès de la population, des connaissances susceptibles de l’aider à mieux comprendre les grands enjeux internationaux d’aujourd’hui. Par mon engagement direct dans ses activités publiques depuis 2010, j’espère contribuer à son essor, et je suis fier de m’associer à une équipe aussi dynamique et impliquée que celle de l’Institut.

Bernard Derome

À l’occasion de la rentrée universitaire 2023-2024, le président de l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM) s’est prononcé sur la situation géopolitique mondiale.

« L’ordre mondial, tel que l’on l’a connu depuis la fin de la guerre froide, est complètement bousculé avec des rivalités exacerbées entre les grandes puissances et des impérialismes démesurés. »

– Bernard Derome

Inscrivez-vous au Bulletin hebdomadaire!


Contribuez à l’essor et à la mission de l’Institut !