75 ans des Nations Unies: quelques leçons à tirer d’une défaite
Ce texte d’opinion est signé par François LaRochelle, fellow de l’IEIM et ancien diplomate canadien, 29 juin 2020, 29 juin 2020, François LaRochelle
Plusieurs raisons ont été évoquées pour expliquer la récente défaite du Canada pour acquérir un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies. D’autres apparaîtront au cours des prochains mois, lorsque la distribution du vote sera davantage connue. Déjà, le président de l’Ukraine, dans une entrevue au Globe and Mail, refusait de dire si Kiev avait voté pour le Canada. On peut donc en tirer ses propres conclusions.
Mais dans un contexte plus large et dans la perspective de l’avenir de l’Organisation des Nations unies (ONU), on constate que suite au peu d’intérêt du gouvernement conservateur de Stephen Harper pour les dossiers internationaux, le Canada est graduellement disparu des écrans radar. Les efforts de son successeur Justin Trudeau n’ont pas suffi pour nous remettre en selle à l’ONU.
Les valeurs canadiennes sont peut-être bonnes pour nous, mais n’ont probablement pas beaucoup de résonance pour de nombreux membres de l’ONU. La promotion d’une politique internationale féministe, bien que fort louable, a un impact limité dans un pays en guerre ou qui manque d’eau.
La scène mondiale a changé aussi. Les alliances ont évolué. Ainsi l’Union européenne s’assure que sa voix soit entendue dans le monde et au Conseil de sécurité en particulier. Il y avait la France et le Royaume-Uni comme membres permanents, mais ce dernier a fait Brexit. D’où l’importance pour Bruxelles de faire en sorte qu’elle soit bien représentée au Conseil de sécurité. Et le Canada n’est évidemment pas dans cette équation.
La difficulté de revenir sur la scène internationale, comme on vient de le voir avec le Canada, pourrait, mais à une autre échelle, devenir bien plus marquante. Cette fois avec nos voisins du Sud.
L’administration Trump a adopté une politique qui s’en prend systématiquement, pour des raisons idéologiques, au multilatéralisme. Venant de la puissance que l’on appelait jadis le “leader du monde occidental”, cela laissera sans nul doute des traces.
Si on fait un parallèle avec le Canada, on peut penser que les torts que cette auto-distanciation internationale amènent sur la crédibilité et l’influence américaines seront très difficiles à réparer et pourraient perdurer. Notamment aux Nations Unies. Certains s’en réjouiront probablement. Washington n’y a pas toujours joué un rôle très utile. On peut penser à tous ses vétos en faveur d’Israël par exemple, et à ses politiques qui fluctuaient souvent en fonction de qui se trouvait à la Maison-Blanche. Pour le mieux à certaines époques, et moins comme maintenant. Mais c’est une nation qui, maintenant, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Chaotique fasse à la pandémie, divisée, et avec un système politique dysfonctionnel.
Évidemment, une nouvelle administration démocrate élue en novembre prochain pourrait sans doute changer quelque peu la donne, mais pas nécessairement. Les Européens ont été échaudés par les décisions unilatérales de Trump et ne mettront sûrement plus tous leurs œufs dans le panier transatlantique. Joe Biden a déjà indiqué que l’ambassade américaine resterait à Jérusalem.
La Chine a, quant à elle, tiré rapidement les marrons du feu en profitant des décisions irréfléchies de Washington pour accroître son influence politique et économique. Elle continuera sûrement de le faire. On le voit déjà à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et dans d’autres agences onusiennes, comme à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) basée à Montréal.
Les tensions au Conseil de sécurité iront croissantes, les Russes et les Chinois utilisant leur droit de véto pour empêcher toute décision n’allant pas dans le sens de leur vision stratégique.
La paralysie du Conseil de sécurité, déjà notable, se poursuivra.
Faute du leadership positif des États-Unis, qui défendra les démocraties et le droit international ? Qui poussera la lutte aux changements climatiques ? Qui travaillera pour la paix et le désarmement, et les droits de la personne ? À part l’Europe et quelques autres nations, il n’y a plus grand monde. Est-ce à dire que notre avenir sera lié aux leaders autocrates et aux dictatures ? Souhaitons- nous que ce ne soit pas le cas. Car ce sont les principes fondateurs de la Charte des Nations Unies qui en feront les frais.
Une possible solution serait la présence d’autres nations autour de la table pour assurer un meilleur équilibre. L’idée n’est pas neuve. Le “serpent de mer” de la réforme du Conseil de sécurité devrait ainsi refaire surface. Comme on le sait, de nombreuses tentatives ont été faites pour le rendre plus représentatif, et elles ont échoué. Mais la communauté onusienne ne devrait pas abandonner ce dossier. On a aussi beaucoup écrit et discuté du droit de véto des membres permanents.
Pour faire face aux défis de la planète, et sûrement pour l’efficacité, sinon la survie des Nations Unies, des réformes substantielles sont nécessaires. Mais la volonté politique est-elle là ?
Si le Canada veut vraiment se faire remarquer, voilà un terrain où il pourrait agir en apportant des idées nouvelles et en facilitant les consensus et des alliances pour défendre l’ONU et le multilatéralisme. Et qui sait, profiter du retrait temporaire – ou pas – des États-Unis pour redorer sa réputation.
Le Canada doit travailler énergiquement avec d’autres nations pour re-dynamiser les Nations Unies et lui permettre de reprendre sa place essentielle pour un autre 75 ans !
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