
Migration et changement climatique : le cas du Canada
Blogue Un seul monde, Moussa Kor, 20 mai 2025
Introduction
Le réchauffement climatique est un phénomène mondial dont l’intensité augmente constamment la fréquence des catastrophes naturelles. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a annoncé que, d’ici 2050, les impacts du changement climatique et des catastrophes naturelles pourraient contraindre plus de 200 millions de personnes à devenir des migrants, personnes déplacées internes ou apatrides. Le Canada n’est pas épargné par cette forme de motilité induite par les effets des changements climatiques.
Le Rapport de synthèse sur le Canada dans un climat en changement indique que la hausse des températures, la variation des prélèvements pluviométriques, l’élévation du niveau de la mer et les feux de forêt impactent déjà la santé et l’environnement au Canada et contraignent des milliers de personnes à se déplacer, de manière volontaire ou forcée. La base de données canadienne sur les catastrophes recense 103 cas de catastrophes environnementales entre 2014 et 2020. Parmi elles, des inondations en Colombie Britannique, au sud Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta, autour de la Baie James, au Nouveau Brunswick et au sud du Québec qui ont entraîné le déplacement forcé de 10 000 personnes et coûté des dizaines de milliards de dollars en dommages. Ainsi, les personnes forcées à se déplacer à cause des catastrophes naturelles ou climatiques, bénéficient-elles d’une protection juridique ?
L’objectif de cet article est de démontrer la réalité des interactions entre le changement climatique et la migration humaine au Canada, en analysant les dispositifs juridiques pertinents, tant en droit international qu’en droit canadien. La réflexion s’articule autour de trois axes : la réponse ambiguë du droit international des réfugiés et de l’environnement, les mesures et stratégie de sécurité civile palliatives adoptées par le gouvernement canadien, les initiatives internationales constructives, terrain d’éclosion du droit des migrants climatiques.
Par souci de clarté, le terme de « migrant climatique » sera utilisé dans cet article pour désigner indistinctement d’autres concepts utilisés dans la littérature tels que réfugiés climatiques ou environnementaux et déplacés climatiques.
La réponse du droit international des réfugiés et de l’environnement ambiguë
La Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés est très claire en ce qui concerne le statut de réfugié. Il ne peut être revendiqué au sens de son article 1A (2) que par une personne qui craint avec raison des persécutions liées à sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social ou ses opinions politiques ; qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ou sa résidence habituelle et qui, du fait de cette crainte, ne peut ou ne veut réclamer la protection de son pays d’origine. Il en résulte que, l’état actuel du droit international des réfugiés ne reconnaît pas le statut de réfugié aux personnes contraintes à migrer encore moins celles qui en prennent volontairement ou la décision, pour des raisons liées à des évènements environnementaux périlleux, soudains ou progressifs.
Ce manque de protection juridique se manifeste relativement en droit international de l’environnement. Par exemple, la Déclaration des Nations Unies sur l’environnement de 1972 proclame 26 principes environnementaux tel que le droit à un environnement sain dont la qualité permet de vivre dans la dignité et le bien-être. L’application de ce principe fondamental par un pays d’accueil permettrait d’offrir une protection juridique aux migrants climatiques. Toutefois, la Déclaration est juridiquement non contraignante.
En l’absence de textes juridiques pertinents, une décision innovante pour l’anticipation et la gestion des migrations climatiques a été rendue par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies dans une affaire opposant la Nouvelle-Zélande et Ioane Teitota. Ce dernier, ressortissant des îles Kiribati a demandé au gouvernement Néo-Zélandais le statut de réfugié, en invoquant les effets nuisibles des changements climatiques notamment, l’élévation du niveau de la mer sur son pays d’origine. Bien que toutes ses requêtes, tant au niveau interne qu’international, soient restées infructueuses, la décision du Comité est réputée historique.
Pour la première fois, un organe international reconnaît que la dégradation de l’environnement et les effets destructeurs des changements climatiques représentent une menace pour la vie humaine et donc susceptibles de déclencher une obligation de non-refoulement pour les États d’accueil. Par conséquent, les instruments généraux de protection des droits de la personne tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 ainsi que le pacte relatif aux droits civils et politiques de 1966 constituent des instruments essentiels pour garantir la jouissance effective du droit à la vie, à la santé, à la liberté et à l’asile aux personnes victimes des impacts du réchauffement climatique.
Les mesures et stratégies de sécurité civile adoptées par le gouvernement canadien
Dans un esprit de solidarité, entre 2010 et 2015, le gouvernement du Canada a accueilli plusieurs victimes des tremblements de terre en Haïti et au Népal et a temporairement permis à ceux qui étaient déjà sur le territoire canadien d’y rester. Cela prouve que, lorsqu’une catastrophe naturelle grave survient dans un État tiers, le Canada peut offrir une assistance humanitaire aux victimes. Cette approche casuistique est implicitement annoncée par le juge de la Cour suprême dans l’affaire Ward c. le gouvernement du Canada en 1994. Le juge a affirmé qu’une personne qui sollicite le statut de réfugié au Canada doit justifier de manière convaincante l’incapacité, de son État d’origine ou d’un État dont-elle est aussi ressortissante d’assurer sa protection.
Par ailleurs, le Canada dispose d’un Cadre de sécurité civile, révisé en 2017, adossé à une Stratégie visant à renforcer la capacité du Canada à apprécier les risques et à prévenir ou à atténuer les effets des catastrophes, à s’y préparer, à intervenir et à se rétablir durablement.
Force est de constater que l’état du droit canadien de l’immigration n’est pas encore réceptif à la protection de personnes se prévalant de la qualité de réfugié climatique. En reprenant la définition internationale de réfugié à l’article 96 de la loi sur l’immigration et de la protection des réfugiés (LIPR), réputée inadaptée aux migrants climatiques, le législateur canadien ne prévoit pas de protection spécifique aux migrants environnementaux.
L’éclosion de nouveaux paradigmes de gouvernance des migrations climatiques
L’obligation de non – refoulement prévue à l’article 33 de la Convention de Genève de 1951 peut constituer un levier important vers la protection juridique des migrants climatiques. Dans l’affaire Ioane Teitota, le Comité des droits de l’homme a rappelé que la Convention interdit à un État d’accueil de procéder à l’expulsion ou au refoulement d’un migrant vers son pays d’origine si, une telle décision met en danger la vie et la liberté de la personne. Cela signifie que dans l’examen d’une demande d’asile ou d’une décision de déportation, les autorités administratives ou judiciaires du pays d’accueil peuvent raisonnablement tenir en compte le caractère réel et prévisible d’un risque environnemental au niveau du pays d’origine de la personne requérante, préjudiciable à sa vie.
Cependant, la mise en œuvre de l’obligation de non refoulement constitue une ouverture temporaire vers un système international intégré de prévention de la mobilité climatique et de protection des personnes qui subissent les externalités négatives du réchauffement climatique et les membres de leurs familles.
En 2008, l’Université de Limoges, en partenariat avec l’Université de Sherbrooke, a présenté un projet ambitieux de Convention relative au statut international des déplacés environnementaux. Cette proposition dirigée par le professeur Michel Prieur prévoie la reconnaissance juridique internationale du statut de déplacés environnementaux et une gestion intégrée de ce flux migratoire contemporain par la création d’une agence mondiale dédiée.
Aussi, l’initiative Nansen a été adoptée par les Nations Unies en 2012, pour parvenir à un consensus entre les États sur les principes et éléments clés pour protéger les personnes déplacées au-delà des frontières dans le contexte de catastrophes causées par des risques naturels, notamment ceux liés au changement climatique. L’initiative se fonde sur les accords de Cancún en 2010, la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques et le cadre de Sendai (2015-2030) pour la réduction des risques de catastrophe. Toutefois, aucun de ces cadres n’est juridiquement contraignant pour les États d’accueil, ce qui rend difficile leur mise en œuvre.
Enfin, les relations bilatérales offrent une perspective intéressante dans la mesure où, l’accord conclu entre l’Australie et le Tuvalu reconnaît la nécessité de protéger les migrants climatiques. En effet, il y est prévu de conférer le statut de réfugié climatique à la population de Tuvalu qui recevra un permis de séjour (études, travail, etc). Malgré les critiques, cet accord consacre l’asile climatique pour 11 000 citoyens des Tuvalu si l’archipel venait à disparaître en raison de l’élévation du niveau de la mer.
Le juge international est également un rempart très attendu dans la délimitation des obligations incombant aux États en matière de changement climatique. La demande d’avis consultatif initiée par l’État insulaire du Vanuatu devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) constitue un pas crucial vers l’une des décisions les plus importante de l’humanité. Cette démarche soutenue par 96 États et 11 organisations internationales, pourrait aboutir à un avis juridictionnel contraignant les États à protéger les personnes dont les vies sont menacées par les effets néfastes des changements climatiques.
Conclusion
L’état actuel de la législation et des politiques migratoires ne garantit pas une protection spécifique aux migrants climatiques. Même si, le gouvernement du Canada a intégré les enjeux liés aux déplacements environnementaux dans son cadre général de sécurité civile, cette réponse est conjoncturelle et inadaptée aux besoins particuliers et urgents des migrants climatiques. Dès lors, il convient de s’interroger sur l’apport potentiel des provinces du Canada dans la protection des migrants climatiques.
Auteur :
Moussa Kor, candidat au doctorat en droit à l’UQAM, membre de l’Observatoire sur les migrations internationales, les réfugiés, les apatrides et l’asile (OMIRAS), sous la direction de Ndeye Dieynaba Ndiaye, professeure au département des sciences juridiques à l’UQAM, Montréal, directrice de l’Observatoire sur les migrations internationales, les réfugiés, les apatrides et l’asile (OMIRAS)