L’IEIM vous présente Destiny Tchéhouali, professeur au Département de communication sociale et publique de l’UQAM
M. Tchéhouali est également membre de la Chaire UNESCO en communication et technologies pour le développement, 23 novembre 2020
Replongeant dans sa jeunesse pour nous parler des motivations qui l’ont propulsé dans sa carrière universitaire, Destiny Tchéhouali se souvient qu’il a déjà rêvé d’être avocat, journaliste ou diplomate. Confronté à un dilemme — soit poursuivre ses études en diplomatie au Bénin, son pays d’origine, soit mettre le cap sur le Maroc, afin d’entreprendre une maîtrise en sciences de l’information — c’est le sens de l’aventure qui l’emporta sur le concours d’entrée à l’École nationale d’administration publique de Cotonou, dont il était pourtant lauréat. Une préoccupation d’ordre pragmatique figurait également dans la décision de Destiny : selon lui, le domaine de l’information et de la communication lui fournissait un champ plus large que celui de la diplomatie pour affiner son éventuelle orientation de carrière. « Entre avocat, journaliste et diplomate…le fait d’être un professeur en communication internationale, c’est plutôt un bon compromis ! » affirme-t-il en souriant.
Ayant terminé sa formation à Rabat, le passionné du voyage et de la culture a finalement posé ses valises à Grenoble, où il a entamé un second master, cette fois en science de l’information et communication. Bien qu’il n’ait jamais eu de vocation d’informaticien, Destiny se souvient du moment où est née sa curiosité pour le numérique. « J’avais 11 ans », se remémore-t-il, « et cette année-là, le 6e Sommet de la Francophonie se tenait à Cotonou ». L’événement coïncidait avec l’arrivée de la connectivité dans sa ville natale, où on pouvait désormais accéder à Internet à partir du Campus numérique francophone de Cotonou. Destiny nous explique que son père, qui est professeur d’université en génie civil, était fréquemment appelé à effectuer des séjours à l’étranger. Il a donc confié à son jeune fils le mandat de vérifier une boîte de courrier électronique pendant ses absences, et c’est ainsi que Destiny fit ses premiers pas sur le web. Quelque chose fascinait le jeune garçon : à l’époque, l’envoi d’un courrier électronique déclenchait l’animation d’une enveloppe en mouvement et d’une sphère en rotation, symbole de distance parcourue, confirmant ainsi l’acheminement du message. « Je me demandais, “mais c’est quoi ce fameux cyber espace ?”. Ça m’a donné le goût d’en connaître davantage, de chercher à comprendre. » Cette curiosité l’a éventuellement propulsé vers le doctorat — curiosité qui, étant loin d’être assouvie, alimente aujourd’hui ses travaux sur la transformation de la société par le numérique et sur la gouvernance d’Internet.
Au vu de son parcours, Destiny constate qu’il aurait pu faire un doctorat en communication, mais il a plutôt choisi d’entreprendre des recherches en géographie. « Je n’étais pas bon du tout en cartes ! » dit-il en riant, « mais c’est vraiment la dimension géopolitique de la diffusion des technologies de l’information qui m’intéressait », et c’est ainsi que sa recherche doctorale s’est arrêtée sur les relations Nord-Sud et la lutte contre la fracture numérique, notamment dans les pays africains.
Dans le cadre de sa cueillette de données doctorale auprès d’une agence de solidarité française spécialisée dans le domaine du numérique, où il occupait également un rôle de chargé de mission, Destiny a pu constater que les interventions proposées par les acteurs du Nord étaient parfois déconnectées de la réalité du terrain. « Les mécanismes institutionnels et les programmes internationaux de solidarité numérique soutenaient essentiellement des projets qui consistaient à envoyer des cargaisons d’ordinateurs ou des tableaux numériques interactifs pour combler le fossé numérique entre le Nord et le Sud, sans souci pour la formation ou l’appropriation, et sans considérer les véritables besoins de développement numérique des bénéficiaires. » Or, l’une des réalisations dont Destiny est fier consiste en l’accompagnement et l’évaluation de plusieurs projets de coopération décentralisée dans le domaine du numérique, portés par des municipalités et des collectivités territoriales françaises avec des ONG et des collectivités locales en Afrique. La thèse de doctorat de Destiny démontre ainsi que l’approche décentralisée, inclusive, et de co-construction des partenariats de solidarité numérique qui était privilégiée dans le cadre de ces projets, offre de meilleures garanties tant sur le plan de l’efficience et de la durabilité des résultats, que sur le plan de la satisfaction des bénéficiaires locaux.
Depuis son master à Grenoble et à travers ses diverses expériences en tant que consultant dans le domaine du numérique et du développement international, ce thème récurrent des rapports de pouvoir est abordé sous plusieurs angles dans les travaux et mandats réalisés par Destiny : gouvernance globale de la société de l’information, économie politique de la communication, souveraineté numérique, régulation et impacts des GAFAM (Google et les autres grands joueurs du numérique) sur la mondialisation et sur la diversité culturelle.
« J’ai été influencé par le parcours très inspirant de mon père, dont les parents étaient agriculteurs et illettrés, et qui fut le premier des enfants d’une famille nombreuse à poursuivre des études de troisième cycle », nous confie Destiny. C’est à lui qu’il attribue sa passion pour l’enseignement et la recherche. « En Afrique, il est souvent attendu que l’aîné de la famille — et en plus moi je suis l’unique garçon, avec quatre petites sœurs — fasse le relais de l’expertise de son père ». Pourtant, contrairement aux attentes et à la pression sociale, monsieur Tchéhouali a laissé son fils suivre sa voie en s’orientant vers des études littéraires plutôt qu’en sciences pures. « Cela m’a donné des ailes », nous avoue Destiny. « Aujourd’hui, même si j’évolue dans un domaine qui n’est pas lié au génie civil, on se retrouve lui et moi à partager une vision et une passion commune pour la recherche et l’enseignement, en plaçant la “transmission” au centre de nos valeurs. »
C’est également grâce à son père, qui lui conseilla de poser pied à Montréal, que Destiny s’est installé au Québec. Comme dans tout parcours d’immigrant, il nous révèle que l’intégration socioprofessionnelle a été une épreuve à surmonter. « Malgré mon long séjour d’une dizaine d’années en France avant mon installation comme résident permanent au Québec, j’ai appris et expérimenté la réalité vécue par plusieurs immigrants, notamment quand on arrive ici avec plusieurs diplômes et qu’on se pense apte à trouver rapidement un emploi qualifié dans son domaine, dans un nouveau pays où on ne connaît personne et où on est finalement obligé de refaire ses preuves et de développer son réseau. » En attendant le poste qui répondrait à ses ambitions de carrière universitaire, Destiny a d’abord travaillé pour une compagnie de télécommunications en tant que conseiller en télémarketing, pendant qu’il continuait parallèlement à écrire des articles et à participer à des colloques et autres manifestations scientifiques. C’est ainsi, lors d’une communication dans le cadre du Forum mondial des sciences sociales en 2013, qu’il rencontra l’équipe du Centre d’études en intégration et en mondialisation (CEIM), qui lui proposa un contrat de recherche postdoctorale sur l’impact du numérique sur la mise en œuvre et l’application de la Convention de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles. Le contrat, censé durer six mois, s’est renouvelé et prolongé sur 4 ans, jalonnés d’une variété d’autres projets de recherche dont la création de l’Observatoire ORISON en 2017, aujourd’hui rattaché à la Chaire UNESCO en communication et technologies pour le développement. L’un des projets phares de l’observatoire, depuis sa création, fut l’organisation d’une journée d’études internationales en octobre 2019 et la réalisation d’une étude d’envergure subventionnée par l’Organisation internationale de la Francophonie sur la problématique de l’accès et de la découvrabilité en ligne des contenus culturels francophones. Les résultats de cette étude seront publiés en décembre 2020. Un nouveau projet portant sur la consommation et le rayonnement des contenus culturels francophones, piloté par Destiny et Christian Agbobli, Vice-recteur à la Recherche, à la création et à la diffusion, sera lancé sous peu grâce à une entente qui vient d’être conclue entre l’UQAM et TV5.
En 2018, un poste en communication internationale qui correspond au profil de Destiny s’est ouvert, lui permettant de poursuivre sa passion au sein de la grande communauté uqamienne qui l’accueille désormais en tant que professeur. Il est par ailleurs engagé dans le milieu communautaire et préside depuis 2017 le Conseil d’administration de l’organisme ISOC Québec (le chapitre québécois de l’Internet Society), une association œuvrant en faveur de la promotion de l’accès et des usages de l’Internet au Québec. « C’est un parcours de combattant et je salue tous ceux et toutes celles qui font preuve d’endurance et de résilience à travers leur trajectoire d’immigration et d’intégration socioprofessionnelle », nous confie-t-il.
« Il faut surtout croire en soi et en sa destinée, travailler sans relâche tout en s’accrochant aux choses qui nous passionnent et continuer d’avancer, quels que soient les obstacles sur le chemin. C’est ainsi qu’on finit par se créer des opportunités ou qu’on les saisit, là où elles se trouvent, surtout sur une terre d’accueil et d’opportunités comme le sont le Québec et le Canada ».