Haïti : Le chemin difficile vers une meilleure gestion des risques, 15 ans après le séisme de 2010

Blogue Un seul monde, Edner Joseph, 24 février 2025

Le 12 janvier 2010, un violent tremblement de terre d’une magnitude 7,3 frappe Haïti, avec un épicentre situé à seulement 25 km de la capitale, Port-au-Prince. En quelques secondes, la catastrophe coûte la vie à plus de 280 000 personnes, fait 300 000 blessés et laisse environ 1,43 million de sans-abris. Le pays tout entier, y compris ses institutions, déjà fragilisées, s’est retrouvé paralysé par l’ampleur des dégâts, laissant les dirigeants dans l’incapacité de répondre aux besoins de la population touchée. Le palais présidentiel ainsi que onze des douze bâtiments abritant les ministères se sont effondrés, illustrant l’urgence de l’aide internationale pour Haïti.  

Une solidarité internationale sans précédent envers Haïti a mobilisé plus d’un millier d’organismes gouvernementaux et sans but lucratif provenant des quatre coins du globe pour venir en aide au peuple haïtien.  

Quelques limites dans la gestion des risques… 

Malgré cette volonté d’aider, plusieurs faiblesses structurelles et organisationnelles ont exacerbé cette situation d’urgence humanitaire. Parmi ces points critiques, le manque de préparation, les barrières linguistiques, le manque d’expertise du personnel humanitaire, l’importation de solutions non adaptées ou encore le manque de coordination sont soulignés.  

Premièrement, une réponse rapide et adaptée à toute crise passe nécessairement par une bonne préparation et un plan de contingence clair, détaillé et accessible. Ces plans jouent un rôle fondamental en structurant et en orientant les réponses humanitaires, tout en garantissant le respect des normes nécessaires. Cela nécessite d’ailleurs un partage équilibré des compétences entre les autorités étatiques, les collectivités et/ou les exploitants. Bien que situé au bord de la plaque tectonique des Caraïbes, le pays ne disposait d’aucun système de détection des risques sismiques, ni de plan de secours en cas de tremblement de terre. Aucun code du bâtiment n’était en vigueur, et la capacité déjà limitée du gouvernement à réagir a été restreinte davantage par la perte directe de personnels, de bâtiments et d’équipements.  

Ensuite, plusieurs organisations non gouvernementales internationales (ONGI) et agences des Nations Unies ont mobilisé des équipes qui ne parlaient ni créole ni français, les langues officielles du pays. Par conséquent, cela a créé d’importantes difficultés de communication, empêchant une compréhension mutuelle des besoins et des solutions à apporter. À titre illustratif, plusieurs autorités locales se sont vu quitter des réunions de coordination (clusters), se sentant étrangères dans leur propre pays. Cette situation illustre l’importance d’une communication efficace pour une aide adaptée. 

Troisièmement, la réalité du terrain a montré que certains acteurs humanitaires disposaient de personnels sans expérience pertinente. Par exemple, des maisons reconstruites par des équipes non spécialisées en réponse au tremblement de terre se sont révélées peu résistantes face aux cyclones, déclenchés peu de temps après dans une commune du département de l’Ouest. Ces insuffisances ont alimenté des discussions au sein des clusters sur la qualité de l’assistance apportée. 

De plus, plusieurs ONGI et Agences des Nations Unies, fortes de leur expérience dans d’autres contextes, ont importé des approches sans les adapter aux réalités locales, aggravant parfois les enjeux. Par exemple, des techniques de construction d’abris préfabriqués ont été importées pour loger les populations déplacées, mais celles-ci n’étaient pas adaptées à la culture et au climat du pays (cyclone, chaleur, humidité). Cela souligne l’importance d’une approche contextuelle et participative dans la réponse humanitaire, combinant l’expertise locale à l’aide externe.  

Enfin, les efforts de coordination étaient minés par des comportements individualistes de certaines ONGI. Bien que des clusters thématiques aient été établis, certaines ONGI ignoraient les orientations collectives ou intervenaient dans des zones non attribuées. Par exemple, une ONGI a remplacé un système de pompe manuelle réparé par une autre organisation quelques jours avant, tandis que d’autres zones restaient sans assistance. Un expatrié ayant travaillé entre 2010 et 2013 pour deux ONG dans le domaine du WASH dénonce l’absence d’institutions fortes et d’acteurs politiques ayant un leadership solide pour pouvoir orienter les actions de l’état haïtien. Dans sa perspective, les ONGI et agences des Nations Unis ont obtenu une large marge de manœuvre pour certaines décisions et projets spéciaux, du fait que le gouvernement n’a pas été assez cohérent dans la coordination de sa réponse globale. Cette absence de coordination a contribué de façon significative à l’inefficacité des interventions humanitaires.  

Si ces cinq points ne constituent qu’un aperçu des défis rencontrés, ils mettent en lumière la complexité de la situation haïtienne et de sa gestion des risques. 

Quinze ans après, où en sommes-nous ? 

Le pays est-il devenu plus résilient ? Dispose-t-il de nouvelles normes de construction ou d’un meilleur système de surveillance des risques ? La Direction de la protection civile est-elle mieux équipée sur les plans juridique, politique et financier ? 

Malgré des efforts entrepris depuis 2010, notamment en matière de gestion des risques, les crises politiques successives ont éclipsé ces priorités. Le tremblement de terre est survenu environ un an avant la fin du second mandat du président élu René Garcia Préval. Bien que ses efforts pour avoir maintenu une certaine stabilité politique soient reconnus, des reproches pour sa mauvaise gestion des crises ont été relevées, notamment pour celle du tremblement de terre de 2010. À sa suite, les périodes des deux présidents suivants, et des deux périodes de transition, ont été marquées par des crises socio-politiques sans précédent. Ces différentes crises ont détourné l’attention et les ressources consacrées aux politiques de gestion des risques, exacerbant la vulnérabilité du pays face aux catastrophes naturelles et anthropiques. 

D’un autre côté, plusieurs avancées notables ont été observées dans certains domaines. La création de l’Unité Technique de Sismologie en février 2011 permet la surveillance sismique du territoire haïtien sous le leadership du Bureau des Mines et de l’Energie, qui gère le réseau de surveillance sismique du pays, composé de quatre catégories d’équipements déployés sur l’ensemble du territoire. La mise en place du réseau de comités de Gestion des Risques des Désastres (GRD), répartis sur tout le territoire, constitue également une avancée importante, chaque département géographique du pays, chaque commune et la majorité des sections communales possède un comité de GRD fonctionnant à des degrés variables. Ces structures ont bénéficié de formation leur permettant de conduire des actions d’éducation, de sensibilisation et d’information auprès de la population, ainsi que de coordonner les urgences liées à différents évènements à risques y compris les accidents de la circulation, tels que définis dans le Plan National de Gestion des Risques et Désastres (PRNG). En outre, le développement d’outils spécifiques en conformité avec les programmes du PNGRD 2001, tels que le Plan national et trois plans départementaux de contingence sismique, établis dès 2012, permettent une meilleure préparation et gestion des risques sismiques futures. Enfin, une meilleure évaluation et maîtrise du risque sismique à différentes échelles, grace à la conduite de plusieurs études ayant pour objectif de fournir à la société haïtienne les compétences nécessaires pour mieux anticiper les diverses formes de catastrophes qui frappent régulièrement l’île, est également observée. Cependant, des efforts restent à fournir pour que le système de gestion des risques soit pleinement opérationnel et capable d’offrir une réponse rapide et coordonnée face aux catastrophes, tout en renforçant les capacités locales et en assurant une gestion durable des risques à long terme. 

Principaux défis : cadre légal, ressources financières et violences 

Depuis 2005, le Système National de Gestion des risques et des Désastres (SNGRD) prépare un projet de loi visant à légiférer son fonctionnement et à renforcer le statut juridique de la Direction de la Protection Civile (DPC). Toutefois, le processus de légalisation est constamment reporté et/ou retardé au parlement – dès lors inexistant depuis 2020. L’absence de ce cadre juridique constitue un obstacle majeur pour la gestion des risques de désastres, notamment en matière de mobilisation de ressources.  

Bien que la loi du 16 septembre 1966 institue un instrument budgétaire contingent permettant la disponibilité de liquidité dans les situations d’urgence, son adéquation avec les réalités et les défis actuels peut être questionnée. La part du budget national allouée à la gestion des risques reste particulièrement faible, obligeant à déclarer un état d’urgence à chaque crise pour débloquer des fonds, dont la majeure partie provient de la coopération internationale. Le budget 2024-2025 ne fait pas exception.  

Ce problème est exacerbé, d’une part, par l’ampleur de la corruption qui sévit dans le pays et, d’autre part, par une lutte violente pour le contrôle du territoire – alimentée par les intérêts électoraux et économiques des élites et de certains groupes criminels. La violence des gangs armés organisés est l’une des manifestations concrètes de l’insécurité et des tensions qui prévalent dans le pays, rendant impossible la stabilité nécessaire pour établir un cadre juridique. Presque quatre ans après l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, il est toujours impossible de parvenir à un consensus sur la gestion de la transition, voir sur l’organisation des élections, afin de lancer le processus de stabilisation du pays. Pendant ce temps, les gangs armés se partagent environ 85 % de la capitale et imposent leur loi, y compris à ceux qui ont pour mission de rétablir l’ordre et la discipline. Sans élections crédibles et transparentes, il est impossible de poser les fondations nécessaires à une stabilité et une paix durables, essentielles pour aborder les priorités du pays, y compris la gestion des risques de catastrophes.  

Conclusion 

Pour Haïti, fréquemment confronté par des cyclones, inondations et sècheresses, la gestion des risques de catastrophe devrait être une priorité nationale, impliquant tous les secteurs, y compris la société civile. Dans ce sens, une société civile forte est essentielle pour consolider la démocratie et agir comme contre-pouvoir face à l’État. À ce titre, la société civile doit jouer son rôle. Il est donc nécessaire de créer un espace public où cette société civile puisse contester et influencer les politiques publiques, notamment en matière de gestion des catastrophes. 

Renforcer la coordination et la mobilisation citoyenne est primordiale, car l’efficacité de la réponse aux catastrophes repose sur les acteurs locaux. En tant que premières victimes des catastrophes et violences, ils sont aussi les premiers à intervenir avant l’arrivée de l’aide externe. Consciente de cette réalité, certaines organisations humanitaires intègrent dans leurs projets l’approche de Réduction des Risques liés aux Catastrophes Naturelles (Community-Based Disaster Risk Reduction), soit une gestion communautaire de la réduction des risques de catastrophes. Cette approche permet de responsabiliser les communautés et de favoriser leur pleine participation au développement local, en collaboration avec les autorités administratives et traditionnelles en place.  

Perspectives futures 

A cet égard, Il est impératif de consolider les acquis existants et de progresser sur de nouveaux fronts, avant que la prochaine catastrophe ne survienne, car en Haïti, les catastrophes font partie du quotidien.  

Une priorité doit être accordée au cadre légal du SNGRD, qui lui donnera les outils politiques nécessaires pour structurer et formaliser la gestion des risques et des catastrophes, permettant ainsi une réponse coordonnée, plus efficace et durable. Plus encore, des moyens financiers doivent être alloués à la Protection Civile pour lui permettre de mettre en œuvre sa politique de gestion des risques de désastres, en complément au cadre légal espéré. Si ces points sont essentiels pour atténuer les impacts humains et économiques des catastrophes futures, leur mise en œuvre demeure conditionnée par l’instauration d’une stabilité politique – qui se fait toujours attendre.  


Auteur : Edner Joseph, titulaire d’un master en coopération internationale et aide humanitaire et candidat à la maîtrise en gestion de projet à l’UQAM

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