
La personne demandant l’asile : une discrimination constitutionnelle ?
Blogue Un seul monde, Hugues Laplante-Clément, 9 juin 2025
L’actualité démontre que les politiques d’immigration se durcissent au Canada, incluant celles relatives à l’asile. Le récent projet de loi C-2 de l’administration Carney stipule que les demandes d’asile déposées plus d’un an après l’arrivée initiale d’une personne au Canada ne seront plus soumises à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Au Québec, le gouvernement Legault menace de réduire les services aux personnes demandant d’asile si Ottawa ne réduit pas de moitié le nombre de résidents temporaire dans la province. Sans oublier la fermeture du chemin Roxham, il convient de souligner qu’il existe une distinction entre le statut de la personne citoyenne, et de la personne qui aspire à la citoyenneté.
Cette réalité est également évidente dans Procureur général du Québec c. Kanyinda (Kanyinda) en 2024. Dans cette affaire, la Cour d’appel du Québec donne raison à une demanderesse d’asile, titulaire d’un permis de travail, qui se plaignait de discrimination quant à son exclusion des services de garde subventionnés. En l’espèce, la juge Dutil confirme une discrimination fondée sur le « sexe », motif explicitement énuméré à l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte).
Le raisonnement de la juge ne devrait surprendre personne. Les femmes assument de manière disproportionnée le rôle de parent au foyer, ce qui comprend la garde des enfants. Elles se retrouvent ainsi acculées à l’incapacité d’intégrer le marché du travail si elles n’ont pas accès à une garderie à faible coût. Cette réalité touche à fortiori les mères monoparentales, représentant 74% des familles monoparentales au Québec. En revanche, ce qui peut étonner, c’est l’exclusion des pères monoparentaux du raisonnement, en particulier ceux sans emploi à temps plein, dont la proportion frôle les 16% dans la population québécoise, comparativement à 25% pour les femmes. De surcroît, l’exclusion du motif de la condition sociale mérite considération ; une femme fortunée peut aisément trouver une place en garderie privée, ou engager une gardienne privée.
En fait, la véritable discrimination en l’espèce semble essentiellement basée sur une seule réalité: celle de la personne demandant l’asile, corrélée motif analogue de la citoyenneté, reconnu depuis Andrews en 1989. Devant ces considérations, une question devient inéluctable : est-ce que la Charte assure le droit à l’égalité réelle en vertu de son article 15(1) pour les personnes demandant l’asile au Canada ? La question semble être esquivée par la juge Dutil alors qu’elle estime que la simple confirmation du motif du sexe est suffisante. Ce court billet offre ainsi un regard sur la non-citoyenneté en tant que motif discriminatoire au sens constitutionnel.
Citoyenneté : un motif analogue à considération limitée
La citoyenneté représente un motif épineux dans une perspective d’égalité réelle. En effet, la reconnaissance de la citoyenneté comme un motif analogue au sens de l’art. 15 de la Charte depuis Andrews ne doit pas être interprétée comme une invitation à une acception large et extensible des ramifications du motif analogue de la citoyenneté.
Dans un premier temps, la Charte établit une distinction expresse entre le citoyen et le non-citoyen : la différence est constitutionnelle. La Charte réserve non seulement le droit de vote, mais également le droit de demeurer, d’entrer ou de sortir du Canada aux personnes citoyennes canadiennes. Cette dernière disposition justifie l’interdiction de territoire pour une personne non-citoyenne reconnue coupable de certaines lois fédérales au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Cette interdiction est considérée compatible avec les articles 7, 12 et 15 de la Charte, confirmé dans Chiarelli en 1992 : « le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non‑citoyen[-ne-s] n’aient pas un droit absolu d’entrer au pays ou d’y demeurer ».
Pourtant, les articles 7, 12 et 15 de la Charte s’appliquent à tous, indifféremment du statut migratoire. Par exemple, l’emploi de « chacun » à l’article 7, protégeant la vie, la liberté et la sécurité de sa personne, inclut la personne demandant l’asile. Par contre, l’expulsion d’un non-citoyen menaçant la sécurité des personnes canadiennes ne constitue pas un motif valable pour évoquer cet article, principe réaffirmé dans Medovarski, et plus récemment dans Mvana :
[…] la SAI [Section d’appel de l’immigration] accepte que la citoyenneté soit un motif analogue de distinction. Mais, dit la SAI, la LIPR ne peut que s’appliquer qu’au non-citoyen[-ne]. Il n’y a donc pas d’avantage conféré à un citoyen. […] C’est ainsi que la loi ne crée par une distinction donnant ouverture à l’application de l’article 15.
Dans un deuxième temps, l’article premier de la Charte peut autoriser la distinction entre la personne citoyenne et celle non-citoyenne, comme en témoigne Lavoie en 2002. Dans cette affaire, les juges majoritaires attestent pourtant d’une violation de l’art.15(1) considérant l’exclusion de personnes non-citoyennes au sein de la fonction publique, les désignant comme : « des membres tout aussi essentiels de la société canadienne et méritent la même attention et le même respect ». En revanche, la majorité estime que l’exclusion est justifiée au sens de l’article premier de la Charte. Elle souligne que, dans toute démocratie libérale, la citoyenneté est liée à des objectifs politiques, émotifs et incitatifs importants, en favorisant « à tout le moins un sentiment d’unité et de civisme partagé dans une population hétérogène ». À l’inverse dans Andrew, l’article premier ne s’appliquait pas. L’exclusion des personnes non-citoyennes de la profession d’avocat n’avait aucun lien rationnel avec l’objectif de garantir la compétence des avocat-es en droit et dans les institutions canadiennes.
Conclusion : entre engagements internationaux et réalités politiques
Ainsi, la reconnaissance du motif analogue de la citoyenneté dans Andrews se heurte à deux exceptions principales appuyées par la Charte ; la constitutionalité d’un traitement différencié à l’égard des personnes non-citoyennes notamment en matière d’immigration, ou sa justification dans une société libre et démocratique sous l’article premier. La clause dérogatoire constitue une expectation supplémentaire.
En définitive, le droit d’asile ou de protection ne représentent pas, a priori, un droit humain. La migration relève directement de la souveraineté des États, qui détiennent le pouvoir de déterminer les conditions d’entrée et de séjour des personnes étrangères sur leur territoire. Les obligations légales découlant de la LIPR, incorporant les engagements internationaux du Canada en matière de protection des réfugiés et des droits de la personne, se limitent au principe de non-refoulement.
En revanche, les engagements du Canada concernent également le principe de non-discrimination. Le motif de la « nationalité » est compris au sens de « toute autre situation » concluant l’art. 2.2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et son interprétation s’applique aux non-ressortissant-e-s au sens large, incluant notamment les personnes réfugiées et demandant l’asile. De plus, le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières de 2018, adopté par le Canada, réitère à son article 4 que les droits humains universels et les libertés fondamentales s’appliquent également aux réfugiés et aux migrants, lesquels doivent être respectés, protégés et pleinement assurés en tout temps.
Ainsi, devant ces considérations, nous pouvons attester que le droit à l’égalité réelle assuré par la Charte comporte des limites pour les personnes demandant l’asile. Ces limites risquent d’être exacerbées par la nouvelle administration Carney, décidée à réduire les taux d’immigration au pays. En l’occurrence, bien que le Canada se réclame d’un cadre fondé sur les droits humains, les limites imposées au droit à l’égalité pour les personnes demandant l’asile révèlent une tension profonde entre les engagements internationaux du pays et ses politiques migratoires actuelles et, surtout, celles à venir.
Auteur :
Hugues Laplante-Clément, étudiant en droit et diplômé en Relations internationales et droit international à l’UQAM, stagiaire à l’OMIRAS sous la supervision de la professeure Ndeye Dieynaba Ndiaye. Il s’intéresse notamment aux enjeux constitutionnels et internationaux des droits de la personne. Son parcours en art numérique à l’international a nourri une réflexion critique sur l’universalisme et la portée territoriale des droits.