
L’IEIM vous présente Jacques Lévesque, professeur émérite au Département de science politique de l’UQAM et fondateur de l’IEIM
7 novembre 2022, Jacques Lévesque
Jacques Lévesque est professeur émérite au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal. Membre de la Société royale du Canada, de l’Ordre du Canada et chevalier de la Légion d’Honneur en France, il a été invité comme expert-conseil auprès du Secrétaire d’État aux Affaires extérieures du Canada en 1985, 1987 et 1989. Premier directeur du Département de science politique lors de l’ouverture de l’UQAM en 1969, à l’âge de 29 ans, il a été par la suite, en tant que doyen de la Faculté de science politique et de droit, le fondateur de l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM).
Le premier institut en études internationales, à Montréal
En effet il y a 20 ans, Jacques Lévesque a eu une idée : fonder le premier institut intéressé par les questions internationales à Montréal. Aucune structure équivalente n’y existait à l’époque. « Les affaires internationales, c’était tout ce que j’avais fait depuis le début de mes études universitaires » se rappelle-t-il. « Je voulais encourager des groupes à se former, à faire des levées de fonds en matière internationale ».
Une paternité discrète
L’IEIM est créé par le Conseil d’administration de l’UQAM lors de sa réunion du 29 octobre 2002.
« Ce que j’ai pu faire a été de rassembler ceux qui étaient prêts pour lancer l’Institut, de recueillir des fonds, des appuis, de faire travailler ensemble des unités qui au départ n’étaient peut-être pas très resserrées ».
Il demande au Recteur que les unités soient regroupées dans un même Institut, sans perdre en autonomie. Humble, il insiste sur le fait qu’il n’a pas joué de rôle à l’intérieur de l’Institut après sa création : « j’étais un chercheur dont le champ d’études se limitait à l’ancien espace soviétique ». S’il reconnaît la paternité de ce grand projet lié à ses propres intérêts de recherche, il souligne aussi que sa présence y est restée discrète : « une fois que l’IEIM a été lancé, je n’en ai jamais été le directeur – j’aurais probablement décliné d’ailleurs. Je m’y intéressais mais je ne jouais pas de rôle d’organisateur ».
De plus, « j’étais quelqu’un qui partait souvent. J’ai rarement pu rester plus que trois ans à Montréal sans partir au moins un an à l’étranger où je me suis intégré à divers instituts de recherche ». Après son lancement, il s’occupait donc de l’IEIM de manière « occasionnelle ». « J’en éprouve une certaine culpabilité : je m’intéressais toujours à l’Institut, mais je suis souvent parti ailleurs en France, en Italie, aux États-Unis et en Russie ».
Un enjeu de rassemblement
Dans l’esprit de Jacques Lévesque, alors doyen de la Faculté de science politique et de droit de l’UQAM, cela passait par la création du programme de Baccalauréat en Relations Internationales et Droit International (le BRIDI), à l’IEIM, de manière à établir un solide lien entre la recherche et l’enseignement, pour permettre aux étudiants d’établir un contact direct avec des projets de recherche. Le BRIDI a été un programme contingenté pour lequel la concurrence pour l’admission des étudiants a été et demeure énorme. Avec l’IEIM, il s’agissait aussi de dépasser celui qu’il qualifie « d’ancêtre de l’IEIM », soit le Centre d’études des politiques étrangères et de sécurité (CEPES) dont il avait été le directeur.
Évolution des missions de l’IEIM
Avec les années, les missions de l’IEIM évoluent. Le parcours de Jacques Lévesque et celui de l’Institut se recoupent. L’un et l’autre finissent par se ressembler sans que cela ait été projeté : un accent mis sur la pédagogie et sur le lien avec la société civile, d’abord.
Grand pédagogue dans les médias, Jacques Lévesque a toujours participé à la diffusion de connaissances sur la politique extérieure de l’URSS puis de la Russie, dans un environnement international très polarisé. À 82 ans, il continue d’ailleurs de suivre de très près la situation actuelle.
Autre ressemblance, l’accent mis sur l’analyse et le conseil politique. À plusieurs reprises dans les années 1980, Jacques Lévesque est en effet invité comme expert-conseil auprès du Secrétaire d’État aux Affaires extérieures du Canada. Il a aussi souvent témoigné devant le Comité parlementaire des Affaires Extérieures du Canada et ses sous-comités. Finalement, il a également été conseiller spécial à l’Ambassade du Canada aux Nations Unies, à l’automne 1984 et en juin 1988. Aujourd’hui, l’IEIM continue à proposer ses analyses et recommandations politiques aux décideurs québécois et canadiens.
À l’avenir, Jacques Lévesque souhaite que l’IEIM puisse bénéficier de davantage de financement : « Le problème ce sont les levées de fonds » dit-il, « il en faudrait certainement davantage pour que l’IEIM puisse en faire plus ».
Expert en géopolitique contemporaine, essentiellement des rapports entretenus par l’URSS et la Russie dans ses rapports avec le monde occidental et la Chine
Les recherches de Jacques Lévesque ont porté principalement sur la politique étrangère de l’URSS puis de la Russie, et ses anciens alliés en l’Europe de l’Est. C’est « l’appel du fruit défendu » qui l’a amené à s’intéresser à l’URSS. Dès ses 12 ou 13 ans, les collèges classiques évoquaient l’URSS sous un angle diabolisé, ce qui suscite sa curiosité : « Je voulais aller voir de près ce qu’était ce terrible pays sur lequel on nous mettait en garde, et dont on nous parlait du danger qu’il faisait peser sur nous ».
À la suite d’un voyage d’étudiants en Pologne, il rédige un mémoire de maîtrise sur la voie polonaise du socialisme sous Gomulka. Il continue au doctorat dans ce qui deviendra Sciences-Po Paris. Sa thèse porte sur le conflit sino-soviétique et ses conséquences en Europe de l’Est, initialement sous la direction d’Hélène Carrère D’Encausse puis du remarquable Pierre Hassner, bras droit de Raymond Aron. Pour les besoins de la recherche, on a exigé qu’il apprenne le russe à l’École nationale des Langues Orientales Vivantes (ex-INALCO).
Ses perspectives sur le conflit russo-ukrainien actuel
« Je suis catastrophé de ce qui se passe entre l’Ukraine et la Russie. Ce que fait la Russie actuellement est abominable ». Mais, insiste-t-il, « la responsabilité de ce qui se passe actuellement est au moins à 50% du côté américain ». Pour lui, le conflit ne peut se comprendre sans y intégrer une dimension historique.
« Gorbatchev s’était battu pour que l’Allemagne réunifiée, grâce à lui, ne fasse pas partie de l’OTAN dans le cadre du processus de paix entre l’URSS et le monde occidental. On lui avait promis qu’elle n’irait pas plus loin vers l’est; ce qui a été bafoué. »
De plus, il ajoute que, « par la suite, tous les dirigeants russes à commencer par Eltsine ont toujours protesté contre l’élargissement de l’OTAN vers l’Est. À la demande des États-Unis l’OTAN a officiellement promis à l’Ukraine en 1994 qu’elle deviendrait membre de l’OTAN. Elle n’a jamais osé le faire pour éviter une confrontation directe avec la Russie. Washington lui envoyait cependant de plus en plus d’armements sophistiqués, et subventionnait la construction de bases aériennes susceptibles de pouvoir recevoir des avions militaires de l’OTAN. »
« Bref, ce sont les Ukrainiens qui payent le terrible prix de l’extension de l’OTAN. On est donc très loin et pour très longtemps de l’Europe à laquelle Gorbatchev avait ouvert la porte. »
Gorbatchev dont Jacques Lévesque est très nostalgique, qu’il a rencontré trois fois, a écrit pour lui quelques mots à l’intention de sa plus jeune fille dans un exemplaire de son livre L’URSS et sa politique internationale de Lénine à Gorbatchev : « Chère Alexandra, les enfants sont là pour remplacer leurs parents. Nous avons fait de notre mieux pour toi ». Une façon aussi de se rappeler que chaque génération est amenée à essayer de faire mieux pour la suivante.