L’impact de la COVID-19 sur l’aide au développement

12 avril 2021, Stephen Brown

Dans les pays du Sud, la pandémie de COVID-19 a annulé des années de progrès socio-économiques, portant un préjudice disproportionné aux populations pauvres. Ces pays en particulier luttent plus que jamais pour trouver les ressources nécessaires à la santé et au bien-être de leurs citoyens et citoyennes en cette période de crise. En outre, les perturbations du commerce, des investissements et des envois de fonds ont entraîné une diminution des sources internationales de financement du développement.

L’aide au développement est donc plus importante que jamais. Un nombre croissant d’études ont documenté la manière dont l’aide a répondu à cette nouvelle dynamique aux niveaux local et national. Mais quel impact la pandémie a-t-elle sur l’aide étrangère de manière globale ?

Des tendances nouvelles

L’une des premières nouvelles tendances à émerger après le début de la pandémie a été l’accent mis sur le secteur de la santé et sur l’assistance sociale. L’aide étrangère joue manifestement un rôle clé dans la fourniture de soins et de matériel médical lié à la COVID-19, y compris des traitements et des vaccins. L’assistance sociale s’est également avérée cruciale pour atténuer les effets secondaires de la pandémie et des mesures préventives telles que les confinements, qui ont plongé 100 millions de personnes dans l’extrême pauvreté.

Depuis une dizaine d’années voire plus, l’aide au développement mettait de plus en plus l’accent sur la croissance à long terme comme moyen de réduire la pauvreté, notamment grâce à des dépenses dans des projets d’infrastructure à grande échelle. Avec la pandémie, il y a un revirement en faveur de la satisfaction de besoins sanitaires et matériels plus immédiats.

Toutefois, sans une augmentation globale des budgets de l’aide, la réaffectation des ressources aux dépenses sociales pourrait desservir des programmes importants dans d’autres secteurs. De plus, si des fonds déjà affectés à d’autres domaines liés à la santé sont réalloués à la lutte contre la COVID-19, toute une série d’activités importantes devra être sacrifiée, de la santé maternelle et infantile à la prévention et au traitement du VIH/SIDA, ce qui aura pour effet d’accroître le fardeau d’autres maladies.

Des tendances renforcées

La plupart des autres tendances liées à la COVID-19 concernant l’aide étrangère ne sont pas nouvelles, mais constituent plutôt une accélération de tendances préexistantes. Par exemple, selon les données de l’OCDE, la part de l’aide destinée au secteur humanitaire était déjà en augmentation, passant d’environ 5 % de l’aide publique au développement au début des années 2000 à une moyenne de 13 % en 2016-2018. La crise de la COVID-19 a d’autant plus stimulé les dépenses consacrées à l’aide d’urgence.

La perte de revenus et la nécessité d’augmenter les dépenses ont causé d’importants déficits budgétaires pour les gouvernements dans le monde entier. Bien que la plupart des pays du Nord puissent se permettre des emprunts supplémentaires, la crise de la COVI-19 a poussé la dette de nombreux pays en développement, déjà un problème grandissant au cours de la dernière décennie, jusqu’à un niveau de crise. L’allègement de la dette est de nouveau à l’ordre du jour, mais avec peu d’actions à ce jour. Les pays du G20 ont reporté le service de la dette, mais n’en ont annulé aucune. Des mesures plus importantes devront suivre.

Une autre tendance renforcée est l’importance croissante accordée aux biens publics mondiaux. De plus en plus, les pays donateurs ne considèrent pas que leur rôle consiste seulement à « aider » les pays en développement, mais consacrent des fonds considérables à la résolution de problèmes qui touchent les populations du monde entier, comme le réchauffement climatique. La COVID-19 est l’exemple parfait d’un nouveau problème qui nécessite une réponse mondiale. Dans une certaine mesure, les bailleurs de fonds l’ont reconnu, par exemple en finançant COVAX, une plate-forme qui distribuera des vaccins à tous les pays qui en feront la demande, indépendamment de leur capacité à payer.

Cependant, les pays donateurs ont fait preuve d’un très haut degré de « nationalisme vaccinal » en se réservant la grande majorité des approvisionnements et en donnant la priorité à la vaccination de l’ensemble de leur propre population avant de libérer les excédents pour protéger les populations les plus vulnérables des pays du Sud. Selon The Economist, la plupart des Africains ne seront pas vaccinés avant deux, voire trois ans.

De même, la pandémie a bouleversé les hiérarchies Nord-Sud. Les États-Unis et les pays européens se sont révélé les moins aptes à prévenir la transmission de la COVID-19 chez eux. Une grande partie de l’assistance pour faire face à la pandémie, de l’équipement de protection à l’assistance médicale et aux vaccins, n’est pas allée du Nord vers le Sud, mais de pays du Sud comme la Chine, l’Inde et Cuba vers d’autres pays du Sud et, dans certains cas, du Nord.

L’interruption des voyages internationaux a également contraint de plus en plus les acteurs de l’aide du Nord, tant au sein des gouvernements que des ONG, à s’appuyer sur le personnel local non seulement pour la mise en œuvre des projets, mais aussi pour la conception, la gestion et le suivi des programmes. Les acteurs du développement du Sud global et leurs alliés du Nord prônaient déjà la « localisation » de l’aide étrangère. La COVID-19 a accéléré ce processus de manière spectaculaire.

Enfin, la crise de la COVID-19 a renforcé la tendance observée depuis une dizaine d’années chez les pays donateurs, celle de présenter de plus en plus leur aide étrangère comme étant dans leur propre intérêt. Les donateurs répètent souvent le mantra selon lequel « personne n’est en sécurité tant que tout le monde ne l’est pas ». Bien qu’elle soit vraisemblablement efficace pour rallier le soutien des pays donateurs à la lutte mondiale contre la COVID-19, la place accrue de l’intérêt national comme justification de l’aide – au détriment de l’altruisme, de la solidarité mondiale ou des préoccupations en matière de justice – ouvre la porte à des coupes dans les volumes d’aide une fois la crise de la COVID-19 passée, ou dans des domaines où les intérêts des donateurs sont moins directement en jeu, comme l’égalité des genres dans le Sud.

Le paysage de l’aide post-COVID

Le sort de l’aide étrangère au cours des prochaines années dépend avant tout de la volonté politique des gouvernements donateurs. De nombreuses tendances décrites ci-dessus peuvent être considérées comme positives. Pour qu’elles perdurent et progressent davantage dans le paysage de l’aide post-COVID, les bailleurs de fonds devront reconnaître leur valeur. En outre, comme souligné plus haut, certaines tendances liées à la COVID ont créé de nouveaux risques pour le développement, notamment la cannibalisation de programmes existants.

Ces effets négatifs ne peuvent être atténués que par des dépenses d’aide supplémentaires. Certains pays donateurs, notamment le Royaume-Uni, ont procédé à des compressions radicales dans leurs programmes d’aide. D’autres, comme l’Allemagne, ont réagi en augmentant les budgets d’aide. Une fois la crise de la COVID terminée, les pays donateurs seront soumis à d’énormes pressions pour réduire leurs dépenses, et l’aide publique au développement sera une cible tentante. Ainsi, bien que la COVID-19 ait renforcé le rôle de l’aide étrangère sur la scène internationale, ses effets à moyen terme pourraient affaiblir l’aide, du moins celle des bailleurs traditionnels.

Ce billet a été initialement publié en anglais sur le blogue DevPolicy. Il résume l’analyse que l’auteur a présenté dans un article scientifique disponible ici.

Crédit photo : Banque mondiale/Henitsoa Rafalia sous licence CC BY-NC-ND 2.0

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