La section canadienne de Médecins sans frontières (MSF) reconnaît faire face à un problème de « racisme structurel » qui mine l’ensemble de l’organisation internationale, et dit vouloir intensifier ses efforts pour en venir à bout.

Son directeur général, Joe Belliveau, a indiqué en entrevue à La Presse mardi qu’il espérait « utiliser le momentum » créé par le mouvement Black Lives Matter pour « accélérer » les réformes requises et sensibiliser le personnel en place à l’importance du problème.

Les employés « n’ont pas tous le même niveau de compréhension de la manière dont des personnes subissent de la discrimination dans l’organisation », a indiqué M. Belliveau, en précisant que le racisme est « antinomique » aux valeurs de MSF.

Le gestionnaire a souligné que d’importantes mesures avaient déjà été instaurées au cours des dernières années pour améliorer les politiques de recrutement et assurer une plus grande diversité au sein de la direction.

Un mécanisme a par ailleurs été mis en place pour assurer un traitement efficace des plaintes pour discrimination et abus de pouvoir, a dit M. Belliveau.

MSF Canada, qui compte une centaine d’employés, dit avoir reçu six plaintes depuis 2018, mais se disait incapable mercredi de préciser combien ont pu mener à des sanctions. Cinq ont donné lieu à une enquête.

Plusieurs autres sections indépendantes de MSF, qui en compte 24 au total, ont affirmé au cours des derniers jours leur volonté de se réformer, faisant écho à de vives préoccupations exprimées par un millier d’employés et d’ex-employés de l’organisation dans une lettre interne révélée par The Guardian.

Les auteurs de la missive ont accusé MSF de ne pas reconnaître l’importance du racisme perpétué par ses politiques, ses pratiques d’embauche et des programmes « déshumanisants » gérés par une « minorité blanche privilégiée ».

Dans une lettre envoyée aux employés peu de temps avant la sortie de la missive, le président international de MSF, Christos Christou, a indiqué que l’organisation avait « manqué à ses devoirs envers les gens de couleur », tant auprès de son personnel qu’auprès des patients, et échoué à venir à bout du racisme institutionnel.

Il a précisé que MSF avait « beaucoup trop attendu » pour agir. « Cette crise devrait nous aider à tenir un miroir nous montrant ce que nous sommes – mais ça ne signifiera pas grand-chose si on n’agit pas par rapport à ce qu’on voit », a-t-il noté.

MSF avait déjà pris l’engagement en 2017 de mettre en place toutes les mesures nécessaires pour « empêcher la discrimination » dans l’organisation.

La Dre Joanne Liu, qui a été présidente internationale de MSF de 2013 à 2019, n’a pas donné suite aux demandes d’entrevue de La Presse à ce sujet.

Réformes inefficaces

Shaista Aziz, ex-employée de MSF établie à Oxford qui chapeaute une ONG venant en aide aux employés du secteur humanitaire victimes d’abus et de discrimination, affirme que les réformes passées n’ont pas donné les résultats escomptés.

« Il y a eu beaucoup de déclarations de bonnes intentions et d’efforts de relations publiques », mais pas assez de changements concrets, souligne Mme Aziz, qui voit le nombre de signataires de la lettre interne à MSF comme une illustration criante du problème.

Avec le mouvement Black Lives Matter en toile de fond, de nombreuses femmes issues de minorités ethniques se sont manifestées au cours des dernières semaines pour dénoncer la manière dont elles ont été traitées au sein d’organisations humanitaires, dit-elle.

« Il y a beaucoup de douleur, très peu de confiance », relève Shaista Aziz, qui doute de la capacité de MSF et des autres grands acteurs du secteur humanitaire à se réformer par eux-mêmes.

François Audet, spécialiste de l’aide humanitaire qui dirige l’Institut d’études internationales de Montréal, estime que plusieurs grandes organisations d’aide tendent à confier les postes de haute direction à des Occidentaux issus de la « population blanche » et ont « beaucoup de mal à faire confiance » aux personnes recrutées localement dans les pays où les interventions ont lieu.

« C’est une relation de pouvoir très postcoloniale », souligne M. Audet, qui décrit MSF comme particulièrement « européocentriste » dans sa structure décisionnelle.

Le débat dure depuis longtemps dans le monde humanitaire, mais prend une acuité particulière avec le mouvement Black Lives Matter, souligne le spécialiste.

« Il y a une asymétrie de pouvoir qui doit changer […]. Le milieu humanitaire n’a pas le choix de passer à travers cette transformation », dit-il.