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Enjeux géopolitiques au Maghreb : questions globales, intérêts régionaux


Salim Chena
Ecole Doctorale de Science Politique de Bordeaux
Laboratoire SPIRIT

Le Maghreb occidental réunit le Maroc, l’Algérie et la Tunisie ; l’Union du Maghreb Arabe s’étend du Maroc à la Lybie, et inclut la Mauritanie. L’espace maghrébin s’articule donc avec le Sahel et l’Afrique subsaharienne au Sud, le Proche-Orient à l’Est et la Méditerranée et l’Europe au Nord. Plusieurs grands enjeux stratégiques se superposent dans cet espace : importantes ressources en sous-sol, présences de groupes terroristes, trafics d’armes et de drogue, corruption.
L’Europe constitue un enjeu géopolitique majeur pour le Maghreb. Les échanges économiques avec l’Espagne, la France et l’Italie sont importants et le développement du port de Tanger, au Maroc, adapte les infrastructures en vue de la mise en place d’une zone de libre-échange euro-méditerranéenne. La Tunisie et le Maroc accueillent les délocalisations d’entreprises textiles, de télétravail ou de manufactures européennes. Les ressources pétrolières et gazières assurent des rentes à l’Algérie et à la Lybie, et offrent au flanc sud de l’Union Européenne une alternative au gaz russe. Les jeux de puissance à l’échelle globale amènent donc les États maghrébins à composer leurs agendas respectifs de politique étrangère et de défense de manière à garantir leurs propres intérêts au sein de la région maghrébine elle-même, tout en jouant sur les thématiques qui les relient aux États européens méridionaux. Cela influence alors deux autres enjeux importants, la lutte contre le terrorisme et la rivalité pour l’hégémonie régionale.

La relations Maghreb – Union Européenne

L’Algérie est incontournable dans la région : riche en gaz, disposant des compétences adéquates, elle possède déjà trois gazoducs vers l’Europe, dont certains tronçons passent par le Maroc et la Tunisie, et développe deux grands projets : le Trans-Saharan Gas Pipeline partant du Nigeria et le GALSI directement vers la Sardaigne. C’est pourquoi le Maghreb est appelé à devenir une zone stratégique pour la sécurité énergétique de l’Europe ; quatrième exportateur et sixième producteur de gaz, l’État algérien, déjà membre historique et influent de l’OPEP, travaille à l’établissement d’un cartel gazier au sein du Forum des pays exportateurs de gaz (GECF) en étroite négociation avec l’Iran et la Russie.
De leur côté, alors que les relations algéro-françaises se délitent depuis l’abandon du traité d’amitié suite aux contentieux sur le passé colonial, le Maroc, la Tunisie et la Libye profitent de la politique européenne d’immigration et d’asile, prioritaire aux yeux des Européens, pour satisfaire leurs intérêts. Ces trois États se sont dotés d’une législation sur l’immigration répondant aux exigences communautaires à partir de 2003 ; l’Algérie adopte une législation similaire en 2008 puis 2009. Le Maroc dispose donc d’un Statut avancé dans ses relations avec l’Union européenne depuis 2008, lui garantissant des rencontres au sommet régulières, approfondissant les relations commerciales et ouvrant une coopération sécuritaire, judiciaire et policière avec les agences européennes. La Tunisie est aussi dépendante de l’Union pour ses exportations de textiles et de machines ; elle reste cependant dans le cadre de l’Accord d’association signé en 1995. Inversement, le tourisme méditerranéen et saharien des Européens ainsi que le pétrole et surtout le gaz qui aliment le vieux continent rendent nécessaires pour l’Union un Maghreb sûr, politiquement stable et économiquement ouvert.

La Libye quant à elle a su utiliser les intérêts européens, au travers de sa relation bilatérale avec l’Italie, pour réintégrer la scène internationale : alors que le gazoduc Greenstream reliant les deux pays entrait en service en 2004 et que les bateaux d’exilés arrivaient sur les côtes italiennes, l’Italie soutenait la levée de l’embargo sur les ventes d’armes à la Libye, préparait la coopération opérationnelle avec les marines libyenne et tunisienne et, en 2008, offrait des excuses assorties de 5 milliards de dollars d’aide sur 25 ans en dédommagement de la période coloniale, en contrepartie d’une lutte accrue contre l’immigration irrégulière. Désormais, les bateaux interceptés en mer sont directement reconduits en Libye. La visite de Mouammar Kadhafi en France, la reconnaissance de sa responsabilité dans les attentats de Lockerbie et du DC-10 d’UTA, à la fin des années 1980, puis son offre de dédommagement des familles des victimes ont achevé ce retour en grâce.

La lutte contre le terrorisme du Maghreb au Sahel

En 2003, le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) enlève 32 touristes européens au Sahara et met en évidence les risques inhérents à la porosité des frontières sahélo-maghrébines entre l’Algérie, la Mauritanie, le Mali et le Niger. Le ralliement du GSPC à la mouvance Al Qaïda, officialisée par Ayman Al Zawahiri en 2007, a entrainé plusieurs attentats-suicides en Algérie, dont un visant les bureaux de l’Onu (PNUD et HCR) le 11 décembre 2007. Les menaces du groupe, dorénavant Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), sur le rallye Paris – Dakar ont forcé son déplacement en Amérique du Sud depuis l’édition 2008. Les enlèvements se multiplient, avec l’exécution d’un otage britannique en 2009 au Mali, et le groupe menace la France et l’Espagne ainsi que les régimes maghrébins jugés impies et corrompus. Le rapprochement des islamistes armés du Maroc, de Libye et d’Algérie accroît les risques régionaux en encourageant le trafic d’armes ou en exportant la violence en Mauritanie, déjà déstabilisée par la succession des coups d’États, dont le renversement à l’été 2008 du premier président démocratiquement élu. L’Algérie s’implique depuis lors fortement dans la sécurité et la résolution des conflits au Sahel.
Le Sahara appartient à la stratégie de lutte contre le terrorisme des États-Unis : l’Operation Enduring Freedom – Trans Sahara encadre depuis 2007, par le biais d’une coopération des agences civiles et militaires américaines avec les États de la région, l’équipement des armées locales, ainsi que des exercices militaires et des opérations de lutte anti-terroriste. Précédée par la Pan-Sahel Initiative, lancée en 2002, elle élargit au Maghreb et sur six années la coopération et la formation des armées sahéliennes, au travers du Trans-Saharan Counterterrorism Partnership (TSCTI), initié en 2005. La situation dans d’autres régions de l’Afrique, comme la Somalie, a conduit les États-Unis à créer un nouveau commandement militaire conjoint, l’Africom, responsable du continent entier, mais dont les moyens financiers et politiques ne sont pas assurés tant que les États-Unis considèreront le Sahel comme un théâtre périphérique de leur Global War on Terror. Basé en Allemagne, il pâtit également des réticences des États d’accueillir son siège sur le continent. Il faut enfin noter la place importante prise récemment par l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le Maghreb dans l’exportation vers l’Union Européenne de la drogue produite en Amérique latine, faisant craindre une alliance entre narcotrafiquants et groupes terroristes.

Les côtes nord du Maghreb profitent du Dialogue Méditerranéen de l’Otan pour favoriser la coopération et la sécurité maritime régionale avec le cabotage des navires militaires dans les ports maghrébins, des exercices communs et des formations. L’opération Active Endeavour, qui implique la Tunisie et le Maroc, permet l’organisation d’escortes, de patrouilles et d’opérations anti-terroristes en Méditerranée sous l’égide de l’Otan.

Rivalités pour l’hégémonie régionale

La faiblesse du commerce intra-régional, hors contrebandes diverses, dénote d’un ensemble mal intégré et révèle des rivalités parfois anciennes autour de l’hégémonie régionale que se dispute l’Algérie, le Maroc et la Libye. Issue d’un contentieux territorial de la période coloniale, la rivalité algéro-marocaine s’est nourrie des conjonctures tendues et des stratégies de puissance des deux États. S’ajoutent les oppositions idéologiques durant la « guerre froide interarabe » : la monarchie chérifienne était plutôt conservatrice et proche des États-Unis, tandis que l’Algérie défendait un tiers-mondisme inspiré du bloc socialiste. En 1994, un attentat contre des touristes occidentaux dans un hôtel à Marrakech entraine la fermeture de la frontière terrestre. Alors que l’Algérie s’est rapprochée des États-Unis sur des thèmes sécuritaires d’intérêts communs sous l’administration Bush et a vu sa balance commerciale hors-hydrocarbures se creuser depuis son association avec l’Union européenne, le Maroc possède une longueur d’avance dans sa coopération économique et politique avec la rive nord de la Méditerranée.

De plus, les difficultés à régler la question du Sahara Occidental, revendiqué par le Maroc depuis la Marche verte de 1975, et le retrait mauritanien d’une partie de ces territoires ont relativement isolé le Maroc. La reconnaissance de la République Arabe Sahraouie et Démocratique par l’Organisation de l’Unité Africaine a amené le Maroc à s’en retirer en 1984, même s’il maintient de bonnes relations avec nombres d’États subsahariens. L’Algérie, qui soutient l’autodétermination sahraouie, aide le Polisario et accueille ses réfugiés. Ce conflit est la véritable pierre d’achoppement de l’intégration régionale : la création de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) succède d’un an à la décision en 1988 d’organiser un referendum d’autodétermination au Sahara Occidental dans un cadre onusien ; il n’aura jamais lieu à cause de problèmes de définition du collège électoral, et l’UMA s’enlisera alors dans l’inaction politique.

Seule la Libye peut rivaliser avec l’Algérie en tant qu’État producteur et exportateur d’hydrocarbures (elle possède les réserves prouvées de pétrole les plus importantes du continent), mais la réputation sulfureuse de son Guide, les soupçons de vente d’armes illicites et la dépendance vis-à-vis des États européens pour moderniser ses forces armées entament la crédibilité d’une hégémonie libyenne à moyen terme sur la région sahélo-maghrébine. L’Algérie, grâce à ses importantes recettes pétrolières, a lancé des programmes de grands travaux d’infrastructures et retrouve une diplomatie des bons offices en Afrique et au Proche-Orient. Surtout, elle est devenue le premier acheteur d’armes conventionnelles d’Afrique, et un des cinq meilleurs clients de la Russie. Le suivisme marocain et libyen en matière de réarmement, malgré des moyens largement inférieurs, témoigne de l’intensité feutrée des rivalités régionales. Si l’émergence d’un conflit interétatique est très peu probable, l’importance globale des enjeux stratégiques au Maghreb, qui éclipse la question des droits humains et de la démocratie, a relancé la lutte pour l’hégémonie régionale.

Pour aller plus loin :

http://meria.idc.ac.il/
http://foreign.senate.gov/testimony...
http://www.sipri.org/
http://www.maghrebarabe.org/fr/

Mots-clés : Points de mire
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