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Le nouveau visage de la guerre

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Le Soleil
Éditorial, vendredi 3 mars 2006, p. A14

Réflexion

Le nouveau visage de la guerre

Les soldats canadiens ont officiellement pris le contrôle d’une province de l’Afghanistan vendredi dernier pour y diriger les forces antiterroristes. Ceci signifie que les Canadiens n’agissent plus sous mandat de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) de l’OTAN, mais bel et bien aux côtés des Américains dans le cadre de l’opération Enduring Freedom. Si ce changement n’a pas eu beaucoup d’échos dans les médias - ni même durant la campagne électorale - , ses implications sont néanmoins très importantes.

Alors que les Forces canadiennes (FC) avaient jusqu’à présent le mandat de patrouiller les rues de Kaboul afin d’éviter tout débordement, elles ont maintenant le feu vert pour prendre contrôle d’une très grande province de l’Afghanistan, Kandahar. L’opération se déroule actuellement dans une zone beaucoup plus hostile que la précédente, et les militaires s’attendent à rencontrer davantage d’opposition qu’auparavant. En d’autres mots, les FC devront s’engager dans des missions plus dangereuses, où elles feront la guerre, et non du maintien de la paix.

Comme l’a souligné l’ancien ministre de la Défense Bill Graham, les FC risquent de subir des pertes humaines plus importantes qu’à Kaboul. Les Canadiens doivent comprendre que les militaires ne sont pas déployés dans une opération traditionnelle de maintien de la paix (généralement déployées sous mandat de l’ONU, dans une zone tampon et avec l’accord des parties belligérantes), mais bien dans une zone de guerre où ils devront ouvrir le feu sur les insurgés. Il faut dire que les décideurs politiques ne font pas des pieds et des mains pour en informer la population puisque cette dernière préfère de beaucoup (87 % selon un sondage Ipsos-Reid en octobre dernier) voir ses forces armées jouer un rôle de médiateur plutôt que de guerrier.

Mission impopulaire

En plus d’être dangereuse, cette opération ne jouit pas d’un appui populaire aussi important que les missions antérieures des FC. Un sondage du Strategic Counsel-CTV-Globe and Mail révélait vendredi dernier que 62 % des Canadiens sont contre le déploiement des FC dans ce pays. Cette proportion augmente à 76 % si l’on isole l’opinion publique québécoise. Cette réticence manifeste des Canadiens explique peut-être pourquoi les autorités politiques ne tiennent pas mordicus à expliquer à la population ce que leurs militaires font concrètement à Kandahar. Les Canadiens montrent ainsi clairement leur persistance à préférer l’engagement du Canada dans des opérations de paix traditionnelles plutôt que dans des interventions plus musclées.

Même si le gouvernement conservateur de Stephen Harper est jugé plus favorable aux politiques américaines, il est primordial de souligner que la participation du Canada aux opérations unilatérales des États-Unis en Afghanistan ne provient pas de son gouvernement. C’est à Paul Martin que revient la décision de déployer plus de 2200 soldats canadiens aux côtés des troupes américaines. Le gouvernement Harper ne fait donc que poursuivre la stratégie des libéraux lorsqu’il affirme qu’il engagera encore plus le Canada dans la lutte contre le terrorisme.

En prenant le contrôle d’une grande province de l’Afghanistan, le Canada poursuit donc sa stratégie post-11 septembre 2001 de lutte contre le terrorisme aux côtés des États-Unis. Rien de nouveau à ce titre sauf peut-être, est-il à espérer, le courage de la part des conservateurs d’exprimer clairement à la population canadienne qu’il ne s’agit ni d’une nouvelle initiative de leur part, ni d’une opération militaire traditionnelle pour le Canada.

Charles Létourneau et Justin Massie

Note(s) :

Les auteurs sont chercheurs à la Chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennes de l’UQAM. Ils sont associés au Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix de l’Université de Montréal.

Illustration(s) :

Les Forces canadiennes risquent de subir des pertes plus importantes qu’à Kaboul.

Catégorie : Éditorial et opinions
Taille : Moyen, 467 mots

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