Un mois après le séisme en Haïti

Des sinistrés toujours à la rue

Plus d’un mois après le violent séisme qui a secoué le sud d’Haïti, des sinistrés qui dorment à la belle étoile réclament de l’aide de la part de gouvernement pour rebâtir leurs maisons. Alors que la phase de reconstruction doit s’amorcer, le manque d’eau et de nourriture place toujours le pays dans une situation « d’urgence », soulignent des intervenants sur le terrain.

« Des victimes sont encore à la rue », raconte Gédéon Delva, journaliste de la Gazette Haïti, joint aux Cayes, troisième ville du pays. Si les grands centres du sud-ouest du pays reprennent leurs activités économiques, les régions reculées sont toujours paralysées. « Les sinistrés disent que ça va très très mal », souligne ce dernier. Certains se trouvent encore dans des camps d’hébergement temporaires.

L’aide de l’État est totalement absente, déplorent des Haïtiens de Marcelin ou de Cavaillon, des localités du Sud durement touchées par le séisme d’une magnitude de 7,2 qui a frappé le pays. Survenu le 14 août dernier, ce tremblement de terre a tué plus de 2200 personnes et détruit 53 000 maisons, en plus d’endommager 77 000 autres demeures.

Reconstruction en suspens

Pour Jean-Hervé François, directeur de l’organisme Caritas Haïti, les besoins alimentaires toujours présents compliquent la suite des choses. « La population n’a pas les moyens de pourvoir à ses besoins en termes d’alimentation, a fait valoir ce dernier, lors d’un point de presse mardi. Mais après un mois, on passe habituellement à une autre phase. »

L’étape de reconstruction, dans laquelle devrait entrer le pays, nécessite de tirer des leçons du séisme de janvier 2010, souligne Jean-Hervé François. L’installation de camps temporaires devenus permanents avait été une « grave erreur », observe à son tour François Audet, professeur agrégé à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires.

En raison de l’insalubrité et des problèmes de violence, les camps permanents sont à éviter. « Mais à ce que j’en ai compris, on les évite énormément », précise M. Audet. Pour empêcher le déplacement de familles comme en 2010, les maisons détruites doivent être reconstruites au même endroit, soutient l’expert.

Afin de rebâtir sur des bases solides, il est nécessaire de guérir les traumatismes, loger les familles, rouvrir les écoles, reprendre la vie économique et rebâtir les infrastructures agricoles, soutient Jean-Hervé François. Selon ce dernier, le gouvernement doit aussi prendre ses responsabilités et agir lors de cette phase.

Plus d’un mois après le drame, l’UNICEF lance un appel aux dons, afin de recueillir 73,3 millions de dollars. Au total, 650 000 personnes, dont 260 000 enfants et adolescents, ont besoin d’une « aide humanitaire d’urgence », a souligné à l’AFP la directrice régionale de l’organisation, Jean Gough.

Le premier ministre Henry qualifié « d’insensible »

Au pays, d’anciens députés dénoncent vivement l’inaction du premier ministre Ariel Henry, raconte Gédéon Delva. « Il reste encore insensible aux besoins de la population », déplore ce dernier. « Il doit mettre le cap sur l’aide aux sinistrés et non sur l’accord politique qu’il tente de conclure », ajoute M. Delva, au sujet du remaniement ministériel à venir.

Ces derniers jours, l’instabilité politique s’est accentuée en Haïti, alors que le premier ministre Henry a été soupçonné d’avoir joué un rôle dans l’assassinat de l’ancien président Jovenel Moïse, le 7 juillet dernier.

Malgré un problème de gouvernance au niveau de l’État, les municipalités et associations ont vite pris en charge la gestion de la crise, ce que salue François Audet. « C’est la clé », estime ce dernier.

« L’aide extérieure d’urgence est nécessaire, comme pour l’eau et les denrées, mais la mécanique de prise en charge locale est essentielle. »

– François Audet, professeur agrégé à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires

Ce leadership local permet d’éviter le scénario du séisme en 2010, lorsque l’aide internationale avait comblé le vide laissé par le gouvernement. Les organismes, quoique « bien intentionnés », avaient causé d’énormes problèmes de désorganisation, rappelle François Audet.

Vies affectées par les gangs

En plus des instabilités politiques qui affligent le pays, les gangs criminels accentuent le climat d’insécurité. « La criminalité galopante » en Haïti menace les organisations locales et internationales, déplore M. Audet.

Lors du point de presse de Caritas, le cardinal Chibly Langlois, évêque des Cayes, a déploré la présence de groupes armés qui « affectent la vie des Haïtiens » et bloquent l’aide acheminée de la capitale jusque dans le Sud.

Parmi les « souffrances » de son peuple, le cardinal Langlois a aussi évoqué l’expulsion récente de migrants haïtiens hors du sol américain, sans possibilité de déposer une demande d’asile.

L’administration Biden a forcé le renvoi de milliers de migrants, en majorité haïtiens, à la suite d’un rassemblement sous un pont à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. De retour au pays, ces derniers déplorent l’impossibilité de trouver un emploi, en plus du climat de violence qui règne dans les rues d’Haïti.

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