Coopératives agricoles africaines : de l’instrumentalisation aux défis d’émancipation

Yetioman Toure, candidat au doctorat, École des sciences de la gestion-UQAM, 18 janvier 2021

La coopérative a été considérée au lendemain de la deuxième guerre mondiale comme un outil important de développement socioéconomique capable de résorber les difficultés économiques des pays sous-développés. Elle était décrite comme l’alternative pour l’accession à la modernité et l’instrument incontournable de la participation aux projets de développement. De nombreux organismes de développement international (ODI) ont ainsi fait des coopératives leur priorité d’intervention en Afrique. Ils y sont devenus au fil du temps des leviers de développement des coopératives dans différents secteurs. Dans ce contexte de développement des coopératives qui perdure depuis des années et dont l’efficacité est parfois controversée malgré les efforts des ODI, il me semble opportun de faire une analyse du rôle des coopératives agricoles dans le développement de l’Afrique de l’Ouest ainsi que les défis liés à leur émergence.

Un rôle évolutif des coopératives agricoles de l’Afrique de l’Ouest

La coopérative se réfère à un mouvement socioéconomique né au XIX siècle. La prise en charge et la responsabilité personnelle et mutuelle, la démocratie, l’égalité, l’équité et la solidarité sont les valeurs sur lesquelles sont fondés les principes coopératifs qui guident universellement les coopératives selon l’Alliance internationale coopérative. Cependant, la compréhension de la coopérative agricole ouest-africaine nécessite une restitution du contexte de sa reconnaissance et de son évolution. Trois facteurs fondamentaux ont influencé le développement coopératif agricole ouest-africain et de l’Afrique en générale. Les deux premiers que je mentionne sont détaillés par Patrick Develtere. Ils traduisent l’influence du poids historique sur le développement du mouvement coopératif agricole africain.

D’abord, la philosophie coopérative en Afrique est de transmission extérieure. La coopérative fut introduite en Afrique par des agences extérieures coloniales pour servir les intérêts de ces dernières. Le secteur coopératif africain résulte donc de pratiques coloniales dans l’environnement socio-économique africain et non de mouvements locaux spontanés comme c’est le cas en Occident.

Ensuite, il y a les rapports spécifiques des coopératives africaines aux agences coloniales ou aux gouvernements connus sous le terme de « path dependency » ou la dépendance au chemin parcouru. Cela signifie que c’est ce poids historique qui conditionne la trajectoire des coopératives africaines. À la suite de l’administration coloniale, les coopératives avaient une connotation d’agents ou de clients dépendants de l’État et d’organismes parapublics. En effet, les coopératives agricoles étaient considérées comme des outils au service de la stratégie d’exportation de marchandises. Elles servaient à l’organisation des productions agricoles (cacao, café, arachide, etc.), le traitement post-récolte, le transport et l’exportation au profit des pays colonisateurs. À la suite des indépendances des pays ouest-africains tels que le Mali, le Sénégal, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, etc., elles ont occupé des postures de sous-traitants, d’exécutants ou de prolongement de grandes firmes commerciales.

La transition post-coloniale des coopératives africaines

Enfin, le secteur coopératif agricole africain connait une nouvelle tendance de développement depuis le début des années 1990. Cette nouvelle tendance, qui se tourne vers les besoins des coopérateurs locaux, a été favorisée par les exigences d’adaptation aux plans d’ajustement structurel de la Banque Mondiale et du Fonds monétaire international, et par l’avènement du multipartisme en Afrique. Ces exigences incluaient une restructuration des coopératives, une séparation avec l’État, l’instauration d’un environnement de marché plus concurrentiel et d’un environnement politique démocratique. Cela donna aux coopératives des perspectives de motivation organisationnelle orientée vers les intérêts réels des membres. Depuis lors, on assiste à un nouveau paysage coopératif agricole africain riche en diversité. Les origines coloniales ne sont plus ses seuls piliers. Ce renouveau coopératif agricole s’appuie sur d’autres valeurs enracinées dans les communautés locales telles que la propriété collective, la participation et la représentation. Il permet de donner la parole aux producteurs et productrices locaux et de renforcer les économies locales. Ce modernisme coopératif agricole africain est une aubaine du renforcement de l’auto-organisation collective et d’accession aux services de base ainsi qu’une voie d’émancipation surtout pour les femmes.

La nouvelle dynamique coopérative en Afrique a rehaussé le potentiel de développement des coopératives agricoles. Ces dernières y sont devenues un outil d’émancipation économique et sociale des plus pauvres, notamment dans les zones rurales, qui peuvent désormais participer aux progrès économiques. Elles offrent de nouvelles possibilités économiques, de représentation et de protection dans les différentes communautés. Ce qui est une forme de participation à l’autonomisation des populations défavorisées, à la promotion de la collaboration et la cohésion au sein des communautés.

Défis des coopératives agricoles

Les coopératives agricoles africaines font face à de nombreux défis dont le plus important est le faible taux de participation des membres à la vie des coopératives. Ce désintérêt pour la vie coopérative est lié à un défaut d’éducation, de sensibilisation et d’information au développement d’un esprit coopératif. Le manque de transparence dans la gestion des coopératives agricoles se présente également comme un facteur de démotivation de l’implication des membres. Abdou Bontianti explique en partie l’échec de certaines coopératives en Afrique par ce déficit de responsabilité sociale et d’honnêteté dans les transactions au sein des coopératives et avec les usagers. À ces défis, il est essentiel de mentionner l’accès au financement qui demeure un enjeu fondamental pour les coopératives agricoles africaines. Ses membres étant généralement pauvres et incapables de se financer pour la constitution du capital social, elles font face à un taux très élevé de sous-capitalisation.

La situation de la coopérative agricole africaine est inédite et alarmante malgré la façade émancipatrice de sa nouvelle dynamique depuis les années 1990. Les coopératives agricoles africaines doivent encore innover et créer de véritables espaces délibératifs, de justice, d’équité, d’égalité, de responsabilité sociale et mutuelle adaptés à leur environnement. Cela semble un impératif pour l’affirmation de leur pertinence dans le développement socioéconomique des pays d’Afrique. Si les coopératives agricoles africaines sont perçues aujourd’hui comme des instruments de réduction de la pauvreté et de satisfaction des besoins de base, leur place dans le développement de l’Afrique mérite d’être portée dans une réflexion poussée des États et des partenaires au développement pour trouver des solutions innovantes adaptées aux contextes locaux.

Crédit photo : Wiki Commons

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