Pourquoi la nouvelle proposition sur l’accès aux vaccins est-elle insuffisante ?

Hamid Benhmade, porte-parole du Réseau québécois pour une mondialisation inclusive (RQMI), 1 mai 2022

Enfin, une nouvelle proposition sur la vaccination gratuite et universelle est en discussion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’Afrique du Sud, les États-Unis, l’Inde et l’Union européenne en sont venus à un accord de principe sur la dérogation aux droits de propriété intellectuelle sur les vaccins contre la COVID-19. Alors que nous avons attendu impatiemment que les vaccins anti-coronavirus soient libérés du carcan de la propriété intellectuelle, hélas, la nouvelle proposition est insuffisante. Bien que le programme Covax soit nécessaire pour offrir gratuitement des vaccins à des économies à faible revenu, ses réalisations demeurent jusqu’à présent peu significatives. Alors qu’il envisage de couvrir en moyenne 3,3 % de la population admissible d’ici juin 2021 (sur les 145 pays participants), il ne peut devenir à lui seul une alternative pour endiguer la pandémie, selon Médecins Sans Frontières.

À l’origine

En octobre 2020, l’Afrique du Sud et l’Inde ont soumis une proposition de dérogation aux droits de propriété intellectuelle sur les vaccins anti-coronavirus, notamment, pour atténuer les inégalités vaccinales entre le Nord et le Sud. En mai 2021, l’Afrique du Sud et l’Inde se sont engagés à revoir leur proposition initiale afin que celle-ci puisse satisfaire aux attentes des anti-dérogations, une proposition ayant été bien accueillie par 65 membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Bien que l’administration américaine ait appuyé l’idée d’une dérogation, les États-Unis n’ont pas soutenu officiellement la dérogation telle que proposée par l’Afrique du Sud et l’Inde.

En septembre 2021, le Royaume-Uni, la Suisse et l’Union européenne se sont opposés à la proposition de l’Afrique du Sud et l’Inde. Leur proposition appelle à une alternative articulée autour de trois conditions, à savoir, la fin des restrictions à l’exportation des matières premières et des produits intermédiaires nécessaires à la production des vaccins, l’octroi des licences obligatoires aux producteurs de vaccins n’ayant pas les droits de les produire et l’incitation des entreprises pharmaceutiques à distribuer les vaccins dans les pays en développement.

En attendant qu’un accord final soit établi, les inégalités vaccinales persistent entre le Nord et le Sud. Sachant que le pourcentage des personnes ayant reçu au moins la première dose dans les économies à revenu élevé est estimé à 81,20 %, dans les économies à faible revenu, ce pourcentage n’est que de 14,50 %.

Un processus plutôt exclusif qu’inclusif

La nouvelle proposition repose sur un processus de négociation exclusif qui impose en pratique des limitations géographiques.

L’Administration Biden aurait suggéré de limiter le champ d’application géographique de la dérogation, laissant noter que les membres admissibles sont les pays en développement ayant exporté moins de 10 % des doses de vaccins contre la COVID-19 en 2021.

Alors que l’Afrique du Sud et l’Inde auraient le droit de recourir à la dérogation, la Chine est exclue, nonobstant son statut de pays en développement à l’OMC. Bien que l’exclusion des producteurs chinois repose probablement sur des considérations géostratégiques, la nouvelle proposition exclut la Chine, qui a d’énormes ressources de production et de distribution des vaccins contre la COVID-19.

Un accord de principe extrêmement limité

Lorsque cet accord de principe a été annoncé et que le texte a fait l’objet d’une fuite, l’euphorie est rapidement retombée. Tandis que son champ d’application est plus étroit que la proposition révisée en mai 2021, ses solutions sont a priori insuffisantes, voire inapplicables.

Alors qu’aucun arrangement n’a été clairement présenté pour traiter les demandes de brevets en cours, la nouvelle proposition est applicable uniquement aux vaccins anti-coronavirus. Au moins deux limites sont à distinguer ici. Premièrement, l’accord de principe ne s’applique qu’à la pandémie du coronavirus, ce qui signifie qu’un processus tout aussi délicat serait nécessaire pour les futures pandémies. Secundo, il n’incorpore pas les autres produits nécessaires à la lutte contre la pandémie, y compris, les produits de diagnostics et les produits thérapeutiques. Bien qu’il promette d’inclure ces produits dans six mois, rien ne peut garantir que cet arrangement sera respecté en raison de la lourdeur administrative de l’OMC.

On partage les ingrédients mais pas la recette

L’accord de principe promet une dérogation limitée aux brevets, alors que la production des vaccins anti-coronavirus repose largement sur d’autres aspects de la propriété intellectuelle, à savoir, les dessins industriels, les droits d’auteur et les secrets commerciaux. Assurer un accès gratuit et universel aux vaccins anti-coronavirus repose, non seulement sur la dérogation, mais aussi, sur la création des centres de production établis un peu partout dans le monde.

Toutefois, aucune internationalisation de la production vers les pays en développement n’est possible sans le transfert technologique. Formellement, il n’y a rien dans le nouvel accord qui incite ou oblige les entreprises pharmaceutiques à divulguer les informations confidentielles et les secrets commerciaux. Renoncer aux brevets est un pas nécessaire, mais demeure insuffisant pour que les pays en développement deviennent des producteurs de vaccins anti-coronavirus.

Aujourd’hui, l’Afrique n’est pas dépourvue d’industries pharmaceutiques aptes à produire les vaccins anti-coronavirus. Au premier septembre 2021, au moins douze centres de production de vaccins anti-coronavirus sont établis ou en préparation dans six pays africains, à savoir, l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Égypte, le Nigéria, le Maroc et le Sénégal. En revanche, faute de transfert technologique, les investissements que réalise le continent en la matière restent limités au remplissage et au conditionnement des vaccins.

Un marasme procédural

La nouvelle proposition va au-delà des exigences de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) et risque de rendre les procédures de dérogation complexes plus que jamais. Complexes, parce que les membres admissibles seraient désormais obligés de lister tous les brevets. Or, l’univers des brevets des vaccins contre la COVID-19 n’est pas entièrement connu. Premièrement, les demandes internationales de brevets ne sont généralement publiées que 18 mois après leur dépôt, d’autant plus qu’il s’agit d’un univers qui est en constante évolution. Nous avons des brevets déposés qui ne sont même pas publics, et d’autres brevets sont déposés chaque jour. Deuxièmement, il y a aussi la nécessité de notifier au Conseil des ADPIC les entités, produits, pays et quantités pour lesquels une autorisation a été accordée. Tout laisse entendre que l’autorisation produit par produit continue de s’appliquer, ce qui engage les gouvernements dans un processus manifestement lourd.

Il ne fait aucun doute que l’OMC ressente une pression pour conclure un accord sur la dérogation avant sa prochaine réunion ministérielle, mais ce serait une erreur d’accepter prématurément une dérogation insuffisante voire inappropriée à la réalité à laquelle sont confrontées les populations du Sud.

Crédit photo : UNICEF Ethiopie/Gudejko

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