Les écoles sensibles au genre : un modèle innovant et transformateur pour l’éducation des filles

Tamara Jacod, Rokhaya Cissé, Bity Diène, Koly Fall, Liv Cerba, Khady Kane Ngom, Fatimata Kane, 12 janvier 2024

Si l’éducation est un droit fondamental et inaliénable pour chaque enfant, plusieurs éléments liés à l’environnement scolaire, à la pédagogie, aux infrastructures et aux contenus éducatifs peuvent exclure progressivement certaines parties de la population, dont les filles.

En Afrique de l’Ouest et du centre, près de 80 % des enfants âgés de 10 ans ne sont pas en mesure de lire et comprendre un texte simple. Dans cette région, près de la moitié des filles ne fréquentent pas l’école, principalement en raison de la pauvreté, les mariages précoces et les normes socioculturelles discriminatoires. Le Burundi, par exemple, est un pays enclavé qui dépend de ses pays voisins pour l’importation et l’exportation des marchandises. Cela crée des situations de pauvreté des familles, qui peuvent avoir recours notamment au travail d’enfant, favorisant les redoublements et le décrochage scolaire.

De manière similaire, en République Démocratique du Congo, les études PASEC et EGRA indiquent que les filles sont désavantagées en ce qui concerne les performances scolaires, en raison du temps passé à assurer des tâches domestiques et ménagères.

Malgré diverses initiatives nationales de promotion de la scolarisation des filles, de nombreux défis demeurent.

Les obstacles extra et intra scolaires à l’éducation

Les problématiques sociales et politiques propres au Burundi, au Mali, à la RDC et au Sénégal créent des défis éducatifs : fermeture des écoles, déplacements de populations, insécurité… La fragilité de certains pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre fait en sorte que les filles sont 2,5 fois plus susceptibles de ne pas être scolarisées que les garçons. Elles sont également disproportionnellement victimes de violences basées sur le genre en milieu scolaire (VBGMS), de la part d’autres élèves comme d’enseignant.e.s, affectant leur apprentissage et leur sentiment de sécurité au sein des écoles.

Pour ceux qui accèdent à l’éducation, la persistance de la pauvreté familiale, le déficit de formation des enseignants, le manque de ressources et les conflits armés entraînent des conséquences néfastes sur la qualité de l’éducation. Par exemple, au Mali en 2020, seulement 58 % des jeunes ont réussi à compléter leur éducation primaire, et parmi eux, seuls 13 % ont atteint un niveau de lecture satisfaisant.

Des écoles transformatrices de genre : une solution pérenne aux enjeux d’éducation des filles et adolescentes

Un modèle éducatif sensible au genre émerge comme une réponse innovante, en adressant précisément les obstacles auxquels les filles font face dans leur éducation. Il implique une réforme complète des infrastructures, de la pédagogie et des politiques des milieux scolaires.

Selon le Programme des Nations Unies pour le développement (UNDP), la sensibilité au genre fait référence aux « résultats qui reflètent une compréhension des rôles et des inégalités entre les genres et qui font un effort pour encourager une participation égale et une distribution juste et équitable des avantages ». Il s’agit de comprendre la mesure dans laquelle le genre influence l’expérience vécue des individus et des groupes et d’en tenir compte dans les activités, les stratégies, la mise en place des infrastructures, par exemple.   Appliquée au milieu scolaire, la sensibilité au genre se traduit par, entre autres, la formation des directeurs et directrices du même que du personnel enseignant, des bourses destinées aux filles les plus démunies et des incitations favorisant la participation des filles aux STEM, ou encore la construction d’infrastructures adaptées.

Le modèle d’écoles sensible au genre du FAWE 

Pour répondre à ces défis, le Forum des éducatrices africaines (FAWE) a concrétisé une approche sensible au genre dans les milieux scolaires, à travers un modèle holistique et global visant à créer un environnement inclusif et propice à l’éducation des filles. Ce modèle est multi-acteur, multidimensionnel et profondément ancré dans la communauté.

Concrètement, le personnel enseignant et les gestionnaires sont formés en pédagogie sensible au genre, sensibilisés aux violences basées sur le genre et aux potentiels traumatismes en découlant. Cela permet d’encourager la participation des filles en classe et d’assurer un environnement scolaire où elles se sentent à l’aise de s’exprimer. Le personnel enseignant joue également un rôle crucial dans la réinsertion des filles ayant dû abandonner leur scolarité, notamment à cause de grossesses précoces ou en raison de l’ostracisation qu’elles vivent pendant leurs menstruations. En effet,  les filles manquent souvent l’école pendant leurs menstruations en raison du manque d’installations adéquates, telles que des toilettes et des fournitures hygiéniques. Le modèle s’intéresse également à la présence d’infrastructures adaptées à la fréquentation scolaire des filles, en adressant ce type d’enjeu.

Les clubs TUSEME sont une composante incontournable du modèle. Ce terme signifie « faisons entendre notre voix » en kiswahili et désigne des clubs de renforcement du leadership des filles. Par ailleurs, d’autres mesures de la vie quotidienne sont mises en œuvre : par exemple, les filles sont invitées à s’asseoir autant à l’avant qu’à l’arrière de la classe, et les garçons sont invités à prendre part aux tâches d’entretien de la classe au même degré que les filles.

Le modèle du FAWE a récemment fait l’objet d’une étude menée par un consortium formé du FAWE, du Laboratoire de recherche sur les transformations économiques et sociales (LARTES-IFAN) de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar et de la Fondation Paul Gérin-Lajoie. Ce projet de recherche de trois ans (2020-2023) tente d’explorer l’efficacité de ce modèle innovant dans quatre pays : le Burundi, la République démocratique du Congo (RDC), le Mali et le Sénégal. Les retombées  du projet se font sentir à travers les premiers résultats mesurés : 81,6% des élèves bénéficiaires au Sénégal estiment que le modèle a un effet positif sur leur maintien à l’école.

Cette étude a permis de soulever de potentielles pistes d’amélioration du modèle : la pérennisation et l’accroissement de l’implication de la communauté, notamment par la création d’environnements familiaux favorables.

Ainsi, la pédagogie sensible au genre présente de nombreux aspects novateurs et continue d’évoluer afin de mieux répondre aux problématiques de l’accessibilité de l’éducation pour les filles. Il doit toutefois surmonter certains défis structurels et socioculturels qui perdurent.


Auteur·es

Tamara Jacod, spécialiste en éducation à la Fondation Paul Gérin-Lajoie

Rokhaya Cissé, sociologue au Laboratoire de Recherche sur les Transformations Economiques et Sociales

Bity Diène, coordinatrice régionale du Forum of African Women Educationalists – WASRO

Koly Fall, sociologue et chercheur principal au Laboratoire de Recherche sur les Transformations Economiques et Sociales

Liv Cerba, conseillère en égalité de genre et inclusion à la Fondation Paul Gérin-Lajoie

Khady Kane Ngom, juriste au Laboratoire de Recherche sur les Transformations Economiques et Sociales

Fatimata Kane, chargée de projet au Forum of African Women Educationalists – WASRO

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