L’IEIM vous présente Olivier Arvisais, professeur au Département de didactique de l’UQAM

Directeur scientifique de l’OCCAH, il est aussi co-président du comité scientifique de la Chaire UNESCO de développement curriculaire, 16 janvier 2023

Olivier Arvisais a toujours eu une curiosité pour le monde arabe. « C’est sûrement venu au fil de rencontres, dans mon enfance… » se souvient-il. « C’est une région du monde qui a une culture très riche, qui m’a toujours beaucoup fasciné ». La géopolitique le rattrape également. « Le 11 septembre 2001, j’étais en première année de cégep – au moment de l’attentat j’étais dans un cours d’histoire et le prof pleurait quand il a appris la nouvelle – ça m’a beaucoup marqué ». En rentrant à l’université, il remarque alors : « On se mettait à parler de « culture arabo-musulmane » de façon très particulière, ce qui me choquait beaucoup ». C’est ce qui le décide à s’inscrire en « études arabes », en science politique à l’université.

À l’UQAM, son profil de politologue en relations internationales le rattache à l’Observatoire sur le Moyen-Orient de la Chaire Raoul-Dandurand. À l’époque, il se destine surtout à la diplomatie ou au renseignement. Profondément, Olivier Arvisais a cependant toujours nourri le désir de devenir professeur. Il s’inscrit ainsi à un micro-programme en enseignement post-secondaire pour, éventuellement, enseigner la science politique au cégep. Le programme lui fait découvrir l’univers de la recherche en sciences de l’éducation, qui lui était étranger comme politologue, et à travers elles un environnement multidisciplinaire accueillant des sociologues, des psychologues, des philosophes et des praticien.nes.

S’il avait toujours eu envie de faire un doctorat et de la recherche, son expérience à la maîtrise en science politique avait été assez solitaire, assez difficile. Les sciences de l’éducation lui redonnent cependant le goût de faire un doctorat. À l’époque, la guerre civile en Syrie vient de commencer, provoquant des flux de réfugié.es. « C’était une population que je connaissais bien, j’avais proposé des billets et des analyses stratégiques à la Chaire Raoul-Dandurand sur le sujet ».

En parallèle, il découvre un nouveau domaine d’intervention, l’éducation en situation d’urgence humanitaire, un vocable surtout utilisé aux Nations unies, dans les ONG internationales.

Loin d’une approche « en silo » et alors que l’éducation était souvent envisagée comme un moyen de développement, « on essayait de la ramener comme un moyen d’intervention humanitaire, associé à une crise ou à un conflit armé ». Celui-ci venait s’ajouter aux domaines classiques d’intervention humanitaire : l’alimentation, le logement, la santé. « Ça m’intéressait beaucoup : comment perçoit-on la façon de faire de l’humanitaire? Cela, tout en réfléchissant à l’éducation des populations déplacées dans des crises sur le long terme? »

Sa thèse portera finalement sur l’éducation des personnes réfugiées, opérant un pont entre son expertise en relations internationales et en éducation. Le sujet est « un cas d’école des crises prolongées » et porte sur la manière dont on met en place un système éducatif pour les populations réfugiées, ainsi que sur les perspectives d’avenir de celles-ci.

Il décroche un poste de professeur à l’UQAM. « J’ai été chanceux sur le timing ! » sourit-il. Le poste à pourvoir rejoignait bien son expertise comme politologue et en didactique des sciences humaines et sociales – matière pour laquelle il enseignait déjà comme chargé de cours. Dans cette double compétence, le Département voit « un profil qui pouvait apporter quelque chose de nouveau, qui allait défricher un champ de recherche ».

Olivier Arvisais conduit actuellement deux projets de recherche particulièrement passionnants. Le premier se tient entre « les deux Palestines », en Cisjordanie et à Gaza, dans deux camps de réfugiés. SABRINE, le nom du projet, signifie « patient, résilient », lui apprend Amine, un de ses étudiants.

Dans ce cadre, il s’intéresse à l’impact de la violence politique et de la guerre sur le développement cognitif des enfants. « Quel impact ce type de contexte peut-il avoir sur le développement de leurs fonctions exécutives? Comment cela se traduit-il dans l’apprentissage scolaire ? Quels sont les facteurs de résilience ou de bien-être pouvant mitiger le contexte? ».

Au moment d’accorder l’entrevue, Olivier Arvisais vient de terminer la moitié de la collecte de données auprès d’une cinquantaine d’enfants. Soucieux de l’applicabilité de ses recherches, il précise que l’objectif est ensuite de travailler avec les enseignant.es, les travailleuses et travailleurs sociaux, les psychologues, pour mieux accompagner les enfants et compenser les problèmes liés au développement cognitif qui pourraient être générés par le contexte. Autrement dit, l’objectif est non seulement de comprendre, mais aussi de développer des interventions à l’école, davantage adaptées à leurs besoins.

Le second projet se veut « un laboratoire », qu’il conduit avec Negin Dahya, professeure à l’Université de Toronto. C’est « une association entre ses intérêts de recherche et les miens ». Le projet se tient à Dzaleka, dans un camp de personnes réfugiées au Malawi.

« L’idée, c’est de documenter les initiatives endogènes : comment les personnes issues de la communauté se débrouillent-elles pour apprendre en utilisant les technologies? Quelles technologies utilisent-elles? Que veulent-elles apprendre, qu’est-ce qui leur est utile? Souvent, quand on pense aux réfugié.es, on pense d’abord à la survie et aux besoins primaires. On ne pense pas à leurs passions, leurs intérêts. Pourtant ce sont aussi des personnes avec des projets, des rêves qu’ils vont parfois explorer à l’aide des technologies ».

Il donne l’exemple de personnes réfugiées congolaises qui apprennent la production musicale en mobilisant YouTube et WhatsApp – mais « cela existe aussi pour la mécanique, la couture, l’agriculture… ». Selon lui, la recherche pourrait aussi renseigner les ONG sur ce qui existe déjà.

Olivier Arvisais souligne que [pour certaines personnes de sa communauté de recherche] « on souhaite être le moins présent possible, pour réduire l’impact qu’on peut avoir comme chercheurs étrangers ». Negin Dahya et lui travaillent d’ailleurs avec six chercheurs issus de la communauté qu’ils accompagnent alors qu’ils font de l’entretien et de l’observation sur place.

« C’est de la science lente. On a l’idée de faire les choses autrement, de respecter la temporalité de la communauté dans laquelle on collecte les données ». En retour, ils y réinvestissent aussi les données collectées. « On n’est pas des chercheurs étrangers qui débarquent, prennent leurs informations et repartent sans que les personnes n’en entendent plus jamais parler. On cherche vraiment à développer une nouvelle forme de méthodologie inspirée de la méthode de portraiture développée par la professeure Sara Lawrence-Lightfoot, adaptée au contexte ».

Un livre aux Presses de l’Université de Toronto doit prochainement voir le jour sur les bonnes pratiques de coproduction scientifique avec des populations civiles en situation de vulnérabilité. « Comment développer des partenariats sains, avec un partage des pouvoirs? Comment faire de la recherche autrement, pour le futur? ». Une thématique transversale qui devrait intéresser tous les milieux de recherche.

Sur ce point, Olivier Arvisais rappelle que participer aux projets de recherche représente beaucoup de travail pour les communautés concernées.

« Pour moi, il est très important que les connaissances que l’on produit en recherche soient communiquées, transférables aux communautés de pratique, surtout quand on parle de populations en situation de vulnérabilité ».

Son équipe et lui investissent d’ailleurs beaucoup de temps pour développer des formations, rencontrer les communautés et les accompagner. Il regrette que ce ne soit pas davantage valorisé, plutôt que la course aux publications.

Finalement, comment envisage-t-il le rôle de l’éducation dans cette période de multicrise – sociale, économique, climatique? « Pour moi, c’est la seule solution! C’est ce qui m’a motivé d’emblée à être chercheur en sciences de l’éducation. C’est une stratégie à long terme : quand on forme les futur.es enseignant.es, on en forme des centaines par année et toutes et tous auront des carrières sur trente ans, avec vingt-cinq enfants par année dans leurs classes… Ils peuvent avoir un impact immensément positif sur une société ».

Dans le cas des populations réfugiées, il s’agit aussi de soutenir les nouvelles générations qui seront plus en mesure de résoudre les conflits et les problèmes, parce qu’elles auront de meilleures capacités pour le faire.

« Je n’en verrai peut-être jamais les effets, mais j’espère qu’on travaille dans ce sens. Et qu’éventuellement, si on parvient à bien le faire et avec l’effet multiplicateur que les enseigant.es peuvent avoir, on se retrouvera avec une masse critique de jeunes gens, mieux outillé.es pour résoudre les problèmes complexes auxquels on fait face ».

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