Les violences de genre dans le camp de Dzaleka au Malawi : entre discours internationaux sur la sécurité humaine et réalités quotidiennes
Blogue Un seul monde, Patrick Mmelanya Abisemba, 11 mars 2024
Mise en contexte des crises des réfugié.es mondiales
Bien que l’ONU attache de l’importance à garantir la sécurité pour toutes et tous, c’est toujours l’instabilité socio-politique persistante qui explique principalement les crises actuelles de réfugiés, visibles à travers diverses régions du monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sous son mandat en 2022, le Haut-commissariat aux Réfugié.es (HCR) est responsable du programme de protection des droits et besoins de plus de 24 millions de réfugié.es et plus de 4 millions de demandeurs et demandeuses d’asile à l’échelle mondiale. Les femmes et les filles représentaient 51% de la population totale des réfugié.e.s dans le monde à la fin de l’année 2022. Sachant qu’à l’échelle mondiale, une femme sur trois est victime de violence physique et/ou sexuelle au moins une fois dans sa vie, il n’est pas difficile d’imaginer que ce ratio est encore plus élevé dans des situations de crise.
On considère que les camps de réfugié.es constituent un premier refuge pour les personnes déplacées en raison de persécutions ; et sur le plan humanitaire, il est admis généralement qu’un camp de refugié.e a une durée de vie moyenne d’environ 12 ans, bien que de nos jours, plusieurs camps opèrent au-delà de cette durée. Le camp de Dzaleka au Malawi, qui a été établi dans les années 90 illustre l’existence d’un camp encore opérationnel bien au-delà de 12 ans.
La convention de 1951 concernant le statut des réfugié.es, souvent désignée sous le nom de convention de Genève et adoptée lors d’une conférence regroupant les représentants du bureau européen des Nations-Unies, traite en partie des questions sécuritaires ; toutefois elle ne tient pas compte des difficultés spécifiques rencontrées par les femmes vivant dans les camps. Il est indéniable que la convention de 1951 conçoit la sécurité comme le fait pour les personnes de traverser les frontières nationales, échapper aux persécutions et bénéficier d’un asile dans un nouveau pays.
La sécurité à l’échelle humaine
La vision étatiste de la sécurité a été vivement critiquée par plusieurs chercheurs tels que Charles-Philippe David et Delphine Deschaux-Dutard. Ces critiques mettent en évidence le caractère stato-centré de cette approche qui considérait l’État comme l’élément central en matière de sécurité. Introduite au début des années 90 par le Programme des Nations-Unis pour le Développement (PNUD), l’approche de sécurité humaine est dorénavant comprise comme étant une nouvelle manière de considérer l’individu comme le sujet principal de la sécurité plurielle : économique, alimentaire, environnementale, sanitaire, personnelle, et communautaire, laquelle vise avant tout la protection de la vie. En d’autres termes, il conviendrait de penser la sécurité en termes de protection des personnes, plutôt qu’en protection des territoires. Ces descriptions données par le PNUD semblent s’opposer aux expériences et contextes vécus par les acteurs locaux évoluant dans des camps de réfugiés.
Au-delà de la sécurité humaine : le concept de « sécurité par le bas » et les nouveaux défis de sécurité genrés
Une approche nouvelle, notamment le concept de « sécurité par le bas », a émergé dans les années 2000 afin de répondre aux critiques de l’approche étatiste de la sécurité et aux lacunes de l’approche du PNUD.
L’idée fondamentale du concept de sécurité par le bas est née au sein du programme de recherche sur le Burkina Faso vu par le bas, mené conjointement par des chercheurs et chercheuses issu.es de Forum for Africa de l’Université d’Uppasala en Suède et de l’Institut des Sciences des Sociétés du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologie au Burkina Faso et vise à comprendre les réalités et les « vues et vécues » des acteurs socio-politiques locaux et des citoyens ordinaires. En d’autres termes, il importe de comprendre comment des acteurs locaux, telles que les femmes réfugiées, perçoivent et vivent au quotidien leur réalité sécuritaire pour pouvoir le décrire, l’analyser et la replacer dans son contexte.
Le sort réservé aux femmes et jeunes filles dans des camps de réfugié.es remet en cause l’approche étatiste de la sécurité. En effet, les défis sécuritaires varient en fonction du genre, des individus et en fonction de chaque contexte social, comme le montre l’exemple des femmes du camp de Dzaleka au Malawi qui associent la pauvreté à un manque de sécurité. Utilisé à l’origine comme lieu de détention pour les dissidents politiques pendant la période autoritaire sous la présidence de Hastings Kamuzu Banda (1966-1994), le camp a ensuite été transformé en camp de réfugié.es. En 1987, le Malawi a ratifié la convention de 1951 sur le statut des réfugiés, ce qui en a fait un pays d’asile. En 2021, plus de 50 000 personnes ont trouvé refuge dans le camp de Dzaleka.
L’accent mis sur la sécurité au niveau local (sécurité par le bas) met en évidence l’idée selon laquelle les défis de sécurité liés au genre sont particuliers selon chaque contexte ; il est fréquent que des femmes vivant dans le camp de Dzaleka subissent des abus sexuels et soient violées lorsqu’elles vont chercher du bois ou de l’eau. Certaines échangent leur corps contre du combustible avec la communauté hôte pour survivre. De jeunes filles contraintes au mariage forcé abandonnent leurs études pour subvenir aux besoins de leur famille. Remarquons que tout cela nuit à leur bien-être physique et moral. La culture patriarcale favorise la violence contre les femmes réfugiées du camp de Dzaleka, et la précarité financière conduit à l’exploitation sexuelle, qui est une forme d’exploitation lorsque la survie pose un problème et aboutit au trafic sexuel transnational contre celles-ci. L’une des recherches ayant mis en lumière ces descriptions est celle qui a été menée par Ashley Ramier.
Cet article a mis en évidence que l’approche de la sécurité par le bas est une nouvelle approche qui enrichit la conception étatiste de la sécurité et comble les limites pratiques du concept de sécurité humaine. L’article a examiné de manière croisée en mettant l’accent sur la nécessité impérieuse de contextualiser les expériences de sécurité humaine vécues par les acteurs et actrices ordinaires à l’échelle locale, notamment les femmes réfugiées. Les descriptions sur la sécurité fournies par elles sont contrastées par rapport à celles données par l’ONU à travers le PNUD.
Auteur
Patrick Mmelanya Abisemba, doctorant en développement international (deuxième année), Université d’Ottawa