
Visite du ministre Guilbeault en Chine : Le Yin et le Yang de la diplomatie
Point de vue diplomatique, 31 août 2023, Henri-Paul Normandin
La visite en Chine du ministre de l’Environnement Steven Guilbeault survient dans une conjoncture de tensions diplomatiques, qu’il importe de placer dans une perspective historique plus large.
Au début des années ‘90, sous l’impulsion du pragmatique futur premier ministre Zhu Rongji, la Chine prenait conscience de ses défis environnementaux. Le pays entretenait déjà des liens de coopération technique avec des partenaires étrangers, toutefois compromis par la tragédie de la Place Tiananmen en juin 1989. La Chine hésitait à passer à un autre niveau de collaboration pour relever ses défis.
Or la Chine s’est tournée vers nul autre que le Canada pour inventer ensemble une nouvelle façon de collaborer et d’instaurer un dialogue international de haut niveau sur les politiques de développement durable.
C’était l’époque où les relations entre le Canada et la Chine étaient empreintes de respect et de confiance, malgré les différends bien connus eu égard aux droits de la personne et à certains enjeux économiques.
C’est ainsi que nous avons mis sur pied le Conseil chinois de coopération internationale en environnement et en développement. L’objectif était essentiellement d’offrir à la Chine les meilleures idées et avis en matière de développement durable, ainsi que des recommandations de politiques appuyées par de la recherche scientifique et des projets pilotes. Une initiative fort avant-gardiste et audacieuse qui n’a pas manqué de mobiliser les plus grandes ONG et experts internationaux en environnement, en plus d’autres gouvernements et banques multilatérales.
Je me souviens encore de la fébrilité dans la salle lors de la première rencontre en 1992 co-présidée par Marcel Massé, alors président de l’Agence canadienne de développement international. Nous venions d’ouvrir une ère nouvelle dans la coopération entre la Chine et la communauté internationale.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis
Comme il fallait s’y attendre, au fil du temps la Chine a monté en puissance. Au cours des décennies 1990 et 2000, le tout s’est fait dans une perspective d’ouverture progressive et d’engagement international relativement constructif, malgré les écueils récurrents. Or, depuis l’arrivée au sommet du pouvoir de Xi Jinping en 2012, la Chine a fait un retour prononcé vers l’autoritarisme et sa politique étrangère s’est avérée de plus en plus agressive et hors norme. Au point de créer un ressac, alors que ses relations avec de nombreux pays se sont dégradées.
Le Canada, parmi d’autres, a fait les frais d’une approche chinoise teintée de l’arrogance d’une grande puissance, alors que la diplomatie des otages, la coercition économique et l’ingérence dans notre système démocratique ont provoqué un revirement radical de notre perspective sur la Chine.
Aujourd’hui, ce sont les tensions qui dominent notre relation bilatérale. Il n’y a pour le moment que peu de positif.
Or voici qu’une opportunité se présente, soit la réunion prochaine du Conseil, du 28 au 30 août. Le Canada joue encore aujourd’hui un rôle d’importance au sein de celui-ci, les gouvernements canadiens successifs ayant maintenu leur participation au fil des ans, tout comme de grandes institutions internationales telles l’Union internationale pour la conservation de la nature, le Fonds mondial pour la nature, ainsi que d’autres gouvernements, notamment européens.
En matière d’environnement et de diplomatie, incluant en période de grandes tensions, il importe de maintenir un dialogue, si difficile soit-il. Le silence et la politique de la chaise vide sont rarement un gage de succès.
La visite du ministre Guilbeault est une occasion de poursuivre et approfondir le dialogue et la collaboration pour relever les défis environnementaux mondiaux. Il ne faut pas s’attendre à des percées significatives soudaines. Mais il y a certes lieu de bâtir sur les surprenants succès de la COP 15 en matière de biodiversité, alors qu’à Montréal la Chine et le Canada se sont élevés au-dessus de leurs récriminations respectives pour piloter ensemble cet élément essentiel de l’agenda environnemental mondial.
Par ailleurs, le ministre ne pourra faire fi des sérieuses tensions dans les relations entre la Chine et le Canada. En marge des discussions sur l’environnement, il devra trouver une occasion de soulever les graves désaccords qui caractérisent nos relations, au premier plan l’ingérence et les droits de la personne, notamment au Xinjiang.
Même les pays qui connaissent de vives tensions avec la Chine, comme les États-Unis et l’Australie, maintiennent un dialogue avec celle-ci.
Une première visite ministérielle du Canada en Chine en cinq ans, ce n’est pas de trop.
Auteur
Henri-Paul Normandin est fellow de l’Institut d’études internationales de Montréal. Il oeuvre sur la scène internationale depuis plus de trente-cinq ans. Ancien Ambassadeur du Canada en Haïti (2010-2013) ainsi qu’Ambassadeur et Représentant permanent adjoint aux Nations Unies (2006-2010), M. Normandin a également occupé diverses fonctions au sein de l’ancien ministère des Affaires étrangères du Canada, de l’Agence canadienne de développement international et de la Ville de Montréal. Il est aussi Distinguished Visiting Fellow au German Marshall Fund.
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