Le développement international au temps de la COVID-19
Stéphane Vinhas, coordinateur de l’aide humanitaire, services des programmes internationaux à Développement et Paix — Caritas Canada, 7 décembre 2020
Cette année 2020 que nous souhaiterions oublier restera malheureusement gravée dans nos mémoires. Comparable à un désastre naturel ayant déferlé d’un seul coup à l’échelle planétaire, le coronavirus a stoppé notre système mondial, tout désorganisé et affecté la vie de tous les êtres vivants. Le virus Ebola nous l’avait déjà démontré : les pandémies ne sont pas que des crises de santé publique. Elles mettent aussi à mal le tissu social, la sociabilité, la confiance et accentuent les inégalités déjà existantes en termes de santé, de disparité de revenus ou de discriminations.
Crises difficiles à gérer, les pandémies provoquent des impacts à trois niveaux : la maladie elle-même avec ses taux de morbidité et de mortalité ; les mesures mises en place pour la contrôler (confinement, dépistage, etc.) et les effets secondaires de la maladie sur la vie des gens.
La COVID-19 touche tout le monde, ce qui nous permet de faire preuve d’empathie et de compassion, à la lumière de notre propre expérience. Or, ce virus ne nous affecte pas toutes et tous de la même façon… En témoignent les différentes capacités des pays pour le dépistage, la prise en charge médicale et les appuis financiers étatiques disponibles. Au niveau mondial, la question de l’accès équitable aux vaccins fait écho à celle de l’accès au matériel de protection (masques, gants, etc.).
Et quelle résonance donc pour des recommandations telles que :
• « Restez chez vous » lorsque l’on est sans abris ou que l’on vit dans des espaces exigus ou de forte promiscuité ; lorsque l’on survit, au jour le jour, du « pain quotidien » gagné dans la rue ?
• « Lavez-vous les mains » lorsque l’on n’a pas accès à l’eau ou au savon ?
• « Portez un masque » lorsque l’on n’a pas les ressources financières et un système de gestion des déchets ?
• « Distanciation sociale » lorsque la notion n’existe pas en langue locale, ou que les espaces de vie ne le permettent pas ?
Les effets secondaires de la pandémie affectent sévèrement les populations les plus vulnérables des pays du Sud
1. L’inquiétude rapportée se résume en une phrase : « Avant de mourir de la COVID, nous mourrons de faim ». Le ralentissement des importations de biens de première nécessité et des exportations des matières premières et la fermeture des frontières ont perturbé les échanges économiques. Les petites productrices et producteurs paysans se sont trouvés dans l’impossibilité de récolter ou de vendre sur les marchés locaux. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), l’insécurité alimentaire pourrait doubler pour atteindre 265 millions de personnes. Les répercussions de la pandémie aggravent les facteurs préexistants de la faim tels que l’invasion de criquets pèlerins dans la Corne de l’Afrique ; le choc économique et l’insécurité au Yémen et au Sahel ; la sécheresse à Madagascar ; ou la fragilité exacerbée par les tempêtes les plus récentes, de 2019 au Mozambique et au Zimbabwe, et de la fin 2020 au Honduras, au Nicaragua et aux Philippines.
2. L’impact sur le ralentissement des conflits n’a pas non plus été celui escompté, même suite à l’appel à un cessez-le-feu général du Secrétaire général de Nations Unies, le 23 mars 2020. En dépit de certains apaisements, plusieurs groupes profitent du contexte pour perpétrer des actes de violence, et cela alors que la possibilité de se déplacer, d’être témoins ou émissaires de paix est devenue plus difficile dans certaines régions. En Colombie, les risques d’attentats contre les défenseurs des droits humains confinés ont augmenté, tout comme les recrutements forcés d’enfants, qui auraient selon l’ONG COALICO doublé dans le pays du fait de la dégradation de l’économie. Ailleurs, de nouveaux conflits surviennent, comme au Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ou la crise du Tigré en Éthiopie. Dans d’autres pays en conflit, comme au Yémen et en Lybie, les pouvoirs politiques concurrents et les groupes armés locaux semblent avoir utilisé les mesures de lutte contre la pandémie pour renforcer leur contrôle territorial et leur pouvoir, entraver la circulation des personnes (y compris l’aide humanitaire) et saper la légitimité de leurs opposants.
3. Les enjeux politiques sont aussi présents, comme à chaque pandémie : gestions internes autoritaires de la crise sanitaire comme en Chine ; contrôle des populations et des oppositions avec le débat sur le traçage informatique ; la prise de plein pouvoir illimité comme en Hongrie ; les décrets sur l’état d’urgence et le couvre-feu comme aux Philippines ; la limitation de la liberté d’expression comme en Turquie, en Thaïlande ou encore au Turkménistan pour ne nommer que ceux-là.
4. Les systèmes de santé ont évidemment été fortement perturbés, avec des ressources humaines et matérielles souvent limitées, le détournement de l’attention médicale au détriment de la prise en charge d’autres maladies ou encore la stigmatisation et les attaques contre le personnel de santé. En mai 2020, le président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dénombrait déjà 208 attaques contre du personnel de la santé dans 13 pays sur une période de trois mois. En novembre 2020, l’UNICEF et l’OMS sonnaient l’alarme sur les lacunes de la couverture vaccinale, aggravées par la COVID-19, et les risques de recrudescence de maladies qui peuvent être prévenues, telles la rougeole et la poliomyélite.
5. Les personnes migrantes sont durement affectées par la fermeture des frontières, les ajustements des politiques migratoires ou encore la violence et la stigmatisation. La pandémie a par exemple poussé les personnes migrantes vénézuéliennes au retour dans leur pays d’origine. Accusées d’être propagatrices de la maladie, certains les qualifient de « bioterroristes » ou d’« armes biologiques ». Par ailleurs, souvent affectées par la dégradation de l’économie et la perte d’emplois et de logement, les personnes migrantes ont également diminué les transferts d’argent vers leurs pays d’origine, ce qui pourrait avoir un impact négatif considérable pour les populations réceptrices. La Banque mondiale a d’ailleurs prédit une baisse de 20 % de ces envois de fonds pour l’année 2020.
6. Les femmes et les jeunes filles sont aussi touchées différemment, avec notamment un accès perturbé à l’éducation et aux moyens de subsistance quotidiens et l’augmentation des actes de violence à leur égard. Les projections indiquent une augmentation de 9,1 % du taux de pauvreté des femmes d’ici 2021 — ce qui contraste fortement avec la diminution de 2,7 % prévue avant la COVID-19. Selon le Fonds des Nations Unies pour la Population, une femme sur trois dans le monde a subi une violence physique ou sexuelle, dont 243 millions de femmes entre l’âge de 15 et 49 ans. Les facteurs aggravants de la COVID-19 sur cette « épidémie de l’ombre » sont liés notamment à la tension créée par la crise, l’insécurité financière, la promiscuité, l’isolement, la restriction de mouvement et la plus faible présence du public en extérieur.
Quels impacts pour les organisations de la société civile canadienne ?
Face à cette situation, les organisations de la société civile doivent répondre présentes bien qu’elles soient elles-mêmes touchées par la crise : réductions des montants financiers disponibles, augmentation des coûts liés à la COVID-19 à l’achat de matériel ou l’adaptation des projets pour éviter les contaminations. De plus, la suspension des visites terrain ainsi que l’accès limité aux technologies et au télétravail dans certains pays ont rendu plus difficiles les modalités de suivi et d’évaluations des projets.
Malgré tous les risques liés à la COVID-19, pour les organisations de la société civile, les conséquences de ne pas agir seraient encore plus grandes. Notre rôle est devenu essentiel pour appuyer les initiatives de nos partenaires locaux afin de contenir, avec eux, la pandémie et renforcer une résilience souvent déjà érodée. La COVID-19 a mis en lumière des problématiques déjà existantes et rendue encore plus pertinente la continuité de nos combats et de notre travail.
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