Le Canada et la Déclaration de Los Angeles : réalisations, défis et enjeux de la crise migratoire en Amérique centrale

Blogue Un seul monde, Pauline Sarrazin, Marie-Josée Rukundo, Abra Afefa, étudiantes à l'UQO, 5 février 2024

En septembre 2023, la violence, l’instabilité et le changement climatique étaient les principales causes de déplacement d’enfants en Amérique latine et dans les Caraïbes, une région où 25% des migrant.e.s sont des personnes mineures. Dans son élan de lutte contre les déplacements irréguliers, le gouvernement canadien a émis une déclaration en soutien aux personnes migrantes dans les Amériques, le 10 octobre 2023. L’accueil des 11 000 ressortissant.e.s colombien.ne.s, haïtien.ne.s et vénézuélien.ne.s ainsi annoncé résulte de son engagement pris le 10 juin 2022 lors de la signature de la Déclaration de Los Angeles sur la migration et la protection, conclue par les États du continent américain, face à la crise migratoire majeure.

Plus d’un an et demi après la signature de cette déclaration, et face à une crise qualifiée d’humanitaire depuis 2014, il y a lieu de poser quelques questions, spécifiquement sur l’état de l’engagement canadien. Des « centaines de milliers » de migrant.e.s issu.e.s principalement des pays du Triangle du Nord (Guatemala, Honduras, El Salvador) en Amérique centrale se déplacent continuellement vers les pays d’Amérique du Nord. Résultat : à la fin de l’année 2022, plus d’un million de personnes auraient quitté leurs foyers dans cette région. Devant l’ampleur de cette crise, les objectifs humanitaires et collaboratifs promis par le Canada ont-ils été remplis ?

Les promesses humanitaires du Canada lors de la signature de la Déclaration de Los Angeles

Les échanges découlant sur l’adoption de la Déclaration de Los Angeles sur les migrations et la protection ont été menés selon une volonté commune de développer une « migration sûre, ordonnée, humaine et régulière » dans un contexte d’urgence migratoire. Les discussions étaient menées autour de quatre piliers : Stabilité et assistance aux communautés (1) ; Voies légales et protection (2) ; Gestion humaine des frontières (3) ; Intervention d’urgence coordonnée (4).

L’engagement du Canada, essentiellement humanitaire, s’opère par l’investissement de 26,9 millions de dollars pour renforcer les capacités migratoires, telles que la prévention du trafic de migrant.e.s, et par la promesse d’accueil de 4000 réfugié.e.s en provenance des Amériques d’ici 2028. Bien que ce soit un défi de brosser un portrait complet de l’état de ce second objectif du Canada, l’accueil de 4372 réfugié.e.s des Amériques par le Canada témoigne d’un certain respect de cet engagement.

La collaboration internationale du Canada : une solution à la crise migratoire en Amérique centrale ?

L’engagement du gouvernement canadien est solidifié par des collaborations avec les autres membres de la communauté internationale, selon des perspectives d’intervention humanitaire non traditionnelles. Il s’investi dans le cadre de relations trilatérales et bilatérales, particulièrement solides avec les États-Unis. Pour discuter de divers enjeux, le 3 novembre 2023, le premier ministre canadien s’est rendu au sommet inaugural du Partenariat des Amérique pour la prospérité économique (APEP)  qui rassemblait les États-Unis, le Mexique, le Chili, la Barbade, la Colombie, le Costa Rica, l’Équateur, le Panama, le Pérou, l’Uruguay et la République dominicaine. Cette collaboration vise à mettre en place un corridor commercial Nord-Sud afin de favoriser la croissance économique. En retour, il est espéré qu’une meilleure stabilité en Amérique du Sud et dans les Caraïbes permette de diminuer la migration irrégulière.

Évoquant les relations trilatérales du Canada, il est possible de citer la Déclaration trilatérale relative à l’engagement conjoint à l’égard de l’Amérique latine, entre le Canada, les États-Unis et l’Espagne, en date du 3 mai 2023. Elle rappelle les objectifs de la Déclaration de Los Angeles et propose des actions respectives pour chacun des trois pays.

Dans le cas du Canada, l’engagement humanitaire se traduit par l’exploration de voies d’accès humanitaires, visant à l’emploi des personnes qui migrent avec le statut de réfugié. Le Canada s’engage aussi dans une relation trilatérale avec les États-Unis et le Mexique, notamment depuis la Déclaration de l’Amérique du Nord, du 10 janvier 2023. Sur les six piliers composant cette déclaration, le quatrième pilier sur la migration et le développement appelle les trois pays à « déterminer et éliminer les causes profondes de la migration irrégulière et du déplacement forcé ».

Des efforts mitigés…

Somme toute, l’investissement du Canada face à cette crise migratoire s’articule de plusieurs manières. Le pays ne perd pas de vue les problématiques actuelles en Amérique centrale au-delà de son engagement dans l’exécution de la Déclaration de Los Angeles. Sa participation aux sommets de la Communauté Caraïbes (CARICOM), dont celui de l’année 2023, est évocatrice de la considération accordée au maintien des relations internationales en Amérique centrale. La CARICOM regroupe 15 pays et 5 pays territoires d’outre-mer, s’étendant des Bahamas à Trinité-et-Tobago. La collaboration, tant souhaitée par le Canada, a pour objectif d’agir sur des problématiques communes, telles que « le renforcement de la coopération multilatérale et le renforcement de la sécurité bilatérale et régionale ».

… et des mesures timides.

Dans le cadre d’une entente sur les Tiers pays sûrs, avec les États-Unis en 2022, le Canada prévoyait accueillir 15 000 personnes migrantes sur une base humanitaire. Finalement, seuls 11 000 migrant.e.s seront accueilli.e.s. Les places restantes sont maintenant réservées aux travailleurs et travailleuses migrant.e.s temporaires, dans le cadre d’un programme n’offrant aucune protection, ni permanence. Cette décision est fortement critiquée par le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR).

Selon la situation actuelle, le portail opérationnel des données de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) indique que le nombre de réfugié.e.s et de personnes demandeuses d’asile d’Amérique centrale et du Mexique, à la fin de l’année 2022, était passé à 926 026. Proportionnellement, la promesse d’accueil du Canada de 4000 réfugié.e.s d’ici 2028 apparait donc inadaptée et dérisoire. Elle ne représente même pas 1% des demandes d’asile provenant de cette région. De plus, les données d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) montrent que le nombre de personnes demandeuses d’asile qui arrivent à s’installer au pays est déplorable en comparaison aux demandes reçues. Les 4372 demandes d’asile des Amériques acceptées depuis 2023 font partie d’un total de plus de 25 000 demandes. Récemment, pour gérer ce volume élevé de demandes, le gouvernement canadien explore la possibilité d’imposer des restrictions d’entrée sur le territoire pour les personnes demandeuses d’asile d’origine mexicaine. Devant ces données, il est donc possible de remettre en question la réelle volonté du Canada de faire face aux enjeux humanitaires de cette crise migratoire.

Malgré ses efforts considérables à remplir les objectifs de la Déclaration de Los Angeles, le gouvernement canadien semble rester sur la réserve face aux enjeux migratoires en Amérique centrale. Si les mesures collaboratives dans lesquelles le Canada s’investit constituent un espoir solide de voir la situation s’améliorer, son manque de stabilité quant à ses engagements humanitaires questionne sur la durabilité, l’efficacité et la réalisation de ses promesses.


Auteures

Pauline Sarrazin, étudiante au doctorat en sciences sociales appliquées (DSSA), Université du Québec en Outaouais

Marie-Josée Rukundo, étudiante à la maîtrise en sciences sociales du développement, Université du Québec en Outaouais

Abra Afefa, étudiante à la maîtrise en sciences sociales du développement, Université du Québec en Outaouais

 

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