L’avenir d’Haïti passe par sa jeunesse. Va-t-on lui donner la chance de changer les choses?

La Conversation, Job Pierre-Louis, 1 mai 2025

Job Pierre Louis, auxiliaire de recherche du projet Acteurs locaux de la société civile haïtienne : Perspectives de concertation pour l’émergence d’un État démocratique piloté par l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM) en partenariat avec l’Université d’État d’Haïti et Jurimédia, publie un article dans La Conversation.
Ces travaux sont réalisés grâce à une subvention du Centre de recherches pour le développement international.

Au cœur d’une crise sans précédent, la jeunesse haïtienne refuse de sombrer. Entre mobilisations citoyennes et résistance quotidienne, elle s’organise pour reprendre en main son avenir et rêver d’un État démocratique.

La jeunesse haïtienne se trouve à un moment décisif. Haïti traverse depuis plusieurs années une crise sociopolitique marquée par l’assassinat du président Jovenel Moise en juillet 2021, l’absence d’élections, des pouvoirs inconstitutionnels, et la violence croissante des gangs armés.

Cette violence a occasionné 5626 décès et d’innombrables blessures en 2024, particulièrement à Port-au-Prince, où près de 85 % du territoire est contrôlé par ces groupes armés. Fin avril, les Nations unies estimaient qu’Haïti s’approchait du « point de non-retour » devant la nouvelle escalade des attaques des gangs armées.

Malgré cette crise persistante, la jeunesse haïtienne, délaissée par la gouvernance, se mobilise au sein du milieu associatif pour insuffler un changement et donner espoir aux générations futures. Elle affronte diverses inégalités, la fragmentation de son tissu associatif, la violence des gangs et la précarité économique.

Doctorant en sciences de l’administration à l’Université du Québec à Montréal, je m’intéresse aux politiques migratoires et raciales, au travail migrant temporaire, et aux précarités socioéconomiques et juridiques. J’ai mené une recherche auprès des chercheurs et chercheuses en Haïti et au Canada, et auprès de jeunes haïtiens.

Cartographie d’une jeunesse qui agit

En Haïti, la jeunesse — souvent définie entre 15 et 34 ans, représentant près de 49 % de la population — est hétérogène et profondément marquée par les inégalités : selon le lieu de résidence, l’accès à l’éducation, à l’emploi ou aux services de base. À cela s’ajoutent des rapports de pouvoir inégaux entre femmes et hommes, qui creusent encore les écarts.

Malgré ces obstacles, des structures associatives et des mouvements de jeunes s’activent depuis des décennies en Haïti. Le pays possède une longue tradition d’engagement collectif. Le mouvement des scouts, introduit en 1916, est un pilier du développement communautaire, de l’apprentissage informel et de la promotion du leadership citoyen.

Face aux défis actuels, de nouveaux mouvements ont émergé, comme Nou Pap Dòmi en 2018, à la suite du scandale de corruption et de détournement de fonds PetroCaribe. Ce mouvement a rassemblé de nombreux jeunes de divers horizons.

L’Observatoire de la jeunesse haïtienne (OJH), fondé en 2015, œuvre à la formation de nouveaux leaders et au plaidoyer pour une meilleure intégration des jeunes dans la vie publique.

Plus récemment, le mouvement Gwout Konbit revisite la tradition haïtienne du « Konbit » — travail collectif et entraide — pour mettre sur pied des projets de solidarité concrète, tels que la collecte de sang et le financement d’initiatives sociales.

Ces mouvements, bien que distincts, partagent tous la conviction que la solidarité et l’engagement civique peuvent changer la société haïtienne. Ils démontrent ainsi que l’esprit d’initiative et de collaboration persiste en Haïti, malgré les immenses difficultés.

Obstacles à la mobilisation

Les organisations de jeunesse se heurtent à des obstacles à la fois structurels et conjoncturels : exclusion du système politique, violence et criminalité des gangs, ainsi que défis liés à la communication et au leadership.

La situation sociopolitique actuelle affecte tous les aspects de la vie, forçant la suspension des services de nombreuses institutions privées et publiques, parfois pillées ou incendiées par les gangs.

Dans ce contexte de violence généralisée, où les forces publiques et la force multinationale sont dépassées, les initiatives de jeunesse, particulièrement à Port-au-Prince où se concentrent de nombreuses initiatives, le pouvoir politique et les bailleurs de fonds, peinent à se maintenir.

L’absence ou l’inefficacité des politiques publiques en faveur de la jeunesse constitue un obstacle majeur, avec peu de ressources et d’encadrement pour des programmes adaptés. La mauvaise gouvernance de l’État haïtien aggrave la situation et mine la confiance des jeunes envers les institutions publiques. Les procédures administratives complexes et coûteuses pour enregistrer les organisations de jeunesse découragent la formalisation, pourtant nécessaire pour accéder aux financements et aux partenariats avec les ONG internationales.

La précarité économique et le manque d’opportunités entraînent parfois la politisation des mouvements de jeunes, où des politiciens utilisent des jeunes influents en leur offrant des postes en échange d’un détournement de leurs objectifs initiaux. Cette instrumentalisation compromet la pérennité des initiatives, car ces jeunes se désinvestissent et reproduisent les schémas de corruption et d’exclusion qu’ils critiquaient.

Des pistes d’espoir

Malgré ces défis, des voies d’espoir existent grâce à de nombreuses initiatives portées par des jeunes qui font preuve d’engagement et de capacité à innover. Ces initiatives doivent cependant être créatives pour surmonter les difficultés de mobilisation.

Les jeunes ayant participé à notre recherche proposent plusieurs pistes de solution. En voici quelques-unes :

  • Un financement participatif et des partenariats inter-organisationnels, qui peuvent assurer l’autonomie financière et l’indépendance face aux bailleurs de fonds étrangers.
  • Une intégration de l’éducation à la citoyenneté, au leadership et à la résolution de conflits dans les programmes scolaires et autres institutions, qui formerait des citoyens responsables et engagés, résistants à la politisation.
  • Une communication efficace via les réseaux sociaux, qui augmenterait la visibilité des initiatives de jeunesse, faciliterait la recherche de partenaires nationaux et étrangers, et permettrait de sensibiliser et de mobiliser un public plus large.
  • Le développement d’un leadership collectif, basé sur la collaboration et la transparence, qui renforcerait la confiance et l’efficacité des organisations de jeunes.

Ces pistes, bien que non exhaustives, pourraient soutenir les luttes de la jeunesse haïtienne.

Pour des politiques publiques inclusives

Malgré l’insécurité, la précarité et les obstacles institutionnels, la jeunesse haïtienne démontre une résistance et une créativité remarquables à travers diverses initiatives citoyennes. Pour que cette mobilisation soit fructueuse, un changement systémique est impératif.

L’État haïtien doit élaborer des politiques publiques inclusives qui reconnaissent et soutiennent le potentiel des jeunes. La communauté internationale devrait repenser ses interventions pour mieux accompagner les initiatives locales plutôt que d’imposer des solutions externes.

La force de la jeunesse haïtienne réside dans sa diversité et sa capacité d’adaptation. En valorisant ces atouts, en renforçant la solidarité et en développant des modèles d’organisation autonomes et transparents, elle peut devenir le moteur de la reconstruction et de la transformation sociale d’Haïti.

L’avenir d’Haïti dépendra de cette jeunesse, de sa persévérance à construire un autre modèle social et politique et de la capacité des dirigeants à lui reconnaître enfin une place dans la prise de décision.

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