Par Salim Chena
ATER à l’IEP de Bordeaux Avant de devenir le terrain de prédilection d’une multitude de groupes armés, le Mali est surtout une région millénaire aisément habitable jusqu’il y a 5000 ans. Les évolutions climatiques en ont fait une zone désertique où, avec l’accroissement de la population, l’accès aux ressources y est extrêmement difficile. Lieu de famines récurrentes, l’aire sahélienne pâtit de l’assèchement du fleuve Niger dans lequel la quantité d’eau a diminué de plus d’un tiers en trente ans. Concentrées dans le Sahara maghrébin, les nappes d’eaux fossiles ne sont pas accessibles aux sahéliens qui luttent, en outre, pour l’exploitation de terres arables de plus en plus réduites. De plus, la structuration de la région en Etat-nations à la suite de la décolonisation a engendré plusieurs problèmes quant à la perpétuation des traditions nomades et agro-pastorales. De nombreuses communautés, comme les ethnies peuls, maures, songhaïs et touaregs y sont présentes.
Il s’agit donc d’un espace d’une richesse culturelle unique à l’image de la cité de Tombouctou qui abrite des manuscrits du XIIème siècle et des mosquées et mausolées érigés du XIVème au XVIIème siècle. La destruction par des salafistes de certains d’entre eux, à l’été 2012, a amené l’Unesco à placer la ville sur la liste du patrimoine mondial en péril. Ainsi, depuis les premières prises d’otages européens entre l’Algérie et le Mali en 2003 jusqu’à la crise malienne du printemps 2012, la représentation du Sahel est passée de celle d’une « région menacée », regroupant plusieurs Pays les Moins Avancés d’Afrique, à celle d’une « région menace » dans laquelle les politiques de sécurité militaire ont supplanté les enjeux pourtant fondamentaux de sécurité humaine. La crise malienne porte en elle le risque d’une déstabilisation de l’ensemble sahélien avec des répercussions dans les Etats voisins. Une conséquence de la chute du colonel Kadhafi Le cas malien montre bien le lien complexe qui existe entre sécurité et développement. L’’instabilité actuelle du Mali réside dans la chute du régime de Mouammar Kadhafi à l’automne 2011 : victime collatérale des « Printemps arabes », le septentrion malien a vu affluer les soldats touaregs rassemblés par l’ancien Guide libyen dans sa Légion islamique. Instrumentalisant le ressentiment ancien de ce peuple berbère nomade, éparpillé entre Niger, Mali, Burkina Faso, Algérie et Libye, il rêvait d’un Etat pan-sahélien qui aurait radicalement redéfini les frontières actuelles. Rival de l’Algérie, Tripoli a contribué à l’apaisement de la crise touarègue au Niger en 2009, tandis qu’Alger a servi de médiateur avec les rebelles maliens s’étant soulevés en 2006. Marginalisés au sein des Etats sahéliens, qui privilégient leurs zones sud où se trouvent leurs capitales et les ethnies majoritaires, les rebelles touaregs ont accumulé suffisamment d’armes et de compétences auprès de Kadhafi pour mener leur lutte hors du patronage des puissances régionales. Au printemps 2012, le Mouvement National de Libération de l’Azawad a donc lancé une offensive contre les principales villes du nord-Mali que sont Kidal, Tombouctou et Gao ; ils ont facilement fait battre en retraite la faible armée malienne. Le 6 avril 2012, le MNLA a proclamé l’indépendance de l’Azawad et commencé à établir les premiers jalons politiques et sociaux d’un Etat. Le foisonnement des groupes armés Or, le MNLA laïc n’aurait pu réaliser un tel coup de force militaire sans l’appui d’un groupe touareg de tendance salafiste qui l’a soutenu dans la prise de Gao et Tombouctou, et qui avait conquis seul Kidal. Ansar Eddine, dirigé par l’ancien rebelle Iyad Ag Ghali, défend l’instauration d’un Etat islamique dans l’ensemble du Mali. Les désaccords entre les deux groupes quant à la nature du futur Etat, ont conduit à des affrontements aboutissant à la prise de contrôle des grandes villes par les islamistes qui ont aussitôt entamé l’application stricte de la charia et de ses châtiments corporels : interdiction de l’alcool et du tabac, port du voile obligatoire pour les femmes, punition des couples adultères ou non-mariés, destructions du patrimoine culturel islamique à dominante soufie… Face à cette humiliation, un groupe d’officiers maliens, emmené par le colonel Amadou Haya Sanogo, a destitué au printemps 2012 le président Amadou Toumani Touré et arrêté son gouvernement à quelques mois des élections présidentielles. Depuis, si elle a renoncé à l’exercice direct du pouvoir, la junte contrôle largement le gouvernement civil de transition et est accusée de mauvais traitements sur ses prisonniers. Certains militaires ont même agressé le président Dioncounda Traoré, président de l’Assemblée nationale depuis 2007, dans son palais, le forçant à s’exiler en France pour se soigner. Déjà, le nord du Mali était devenu, depuis le début des années 2000, un fief d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) et de ses émirs Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar ; en outre, est apparu fin 2011, le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) qui a, depuis lors, revendiqué plusieurs enlèvements et deux attentats suicides Algérie. Le Mujao est également responsable de l’enrôlement et de l’endoctrinement d’enfants soldats. Par conséquent, plusieurs groupes armés seraient en cours de constitution pour lutter contre l’intégrisme et défendre l’unité territoriale du Mali. Le Mouvement Républicain de Restauration de l’Azawad (MRRA), mené par El Hadj Ag Gamou, ancien rebelle touareg dans les années 1990, intégré comme officier supérieur malien, défend une position autonomiste et non sécessionniste ; réfugié au Niger avec ses hommes, il compte s’opposer aux groupes islamistes depuis mai 2012. Formé en avril, le Front National de Libération de l’Azawad (FNLA) défend, lui, la réintégration du nord-Mali à l’Etat bamakois mais regroupe principalement des populations dites arabes ou maures du nord-ouest du Mali. En juillet, un Front Patriotique de Résistance rassemble, dans la même perspective, six mouvements d’auto-défense de la région de Gao ; il défend une solution armée contre les islamistes et les touaregs pour pallier la faiblesse de l’armée malienne et l’attentisme du gouvernement de transition. Face à l’échec patent de la stratégie du fait accompli du MNLA et à son incapacité à rassembler les différentes ethnies du septentrion malien, le Mali s’est enlisé dans une crise politique et militaire. La situation menace de se transformer en crise humanitaire du fait des risques de crise alimentaire et de l’exode de près de 300 000 réfugiés dans les États voisins ou déplacés vers le sud. Enfin, certains craignent que la propagande anti-touareg de l’État central malien fasse dégénérer le conflit en lutte ethnique, menaçant tout particulièrement les populations touarègues minoritaires, pourtant loin d’être entièrement acquises aux thèses du MNLA ; plusieurs incidents ont déjà eu lieu dans la région de Bamako. Une impasse politique Pour répondre à cette situation, la communauté internationale défend un retour à l’ordre constitutionnel pour favoriser une reprise en main des régions du nord. La Communauté Économique Des États d’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO) a mis en place une mission au Mali (Micema) destinée à soutenir la transition politique et a chargé le Burkina Faso de la médiation entre les acteurs de la crise et les Etats de la région ; à la suite d’une réunion à Abidjan, à la fin juillet 2012, la CÉDÉAO prépare l’envoi d’une force régionale de 3000 hommes mais attend, pour cela, une résolution favorable du Conseil de sécurité. Cependant, avec l’exil du président Traoré et la faiblesse politique du premier ministre Cheick Modibo Diarra, qui n’arrive pas à se défaire de l’emprise de la junte, la formation d’un gouvernement d’union nationale, demandée par la CÉDÉAO, peine à se concrétiser. Surtout, la classe politique malienne est divisée par des ambitions antagonistes : le Front Uni pour la Défense de la République, qui rassemble 140 partis politiques et organisations de la société civile, critiquent le manque de légitimité des instances de transition. Le retour du président Traoré, le 27 juillet 2012, doit soutenir la formation d’un gouvernement d’union nationale durant le mois d’août. L’impasse politique dans laquelle se trouve le Mali se double d’une impasse militaire : les forces maliennes n’ont ni les équipements, ni la formation pour venir à bout de ces groupes armés ; cependant, une intervention étrangère risquerait, d’une part, de renforcer l’agressivité des groupes islamistes dont la capacité de nuisance peut s’étendre au-delà des frontières maliennes, et, d’autre part, d’exacerber les tensions ethniques, en introduisant des soldats étrangers aux communautés touarègues. La position algérienne, principale puissance régionale en termes militaires et politiques, est caractérisée par une prudence extrême : ne pouvant soutenir les touaregs maliens de peur que leurs homologues algériens se soulèvent, Alger défend le principe de l’unité territoriale du Mali sans pour autant appuyer l’État malien. En contact avec Ansar Eddine, elle espère s’appuyer sur ce groupe pour contrer à la fois AQMI et le MNLA, et favoriser l’engagement d’un processus de négociations sur la base des accords d’Alger de 2006 qui garantissaient l’unité du Mali, cherchaient à développer le nord malien et à obtenir une meilleure intégration des touaregs aux institutions et aux forces armées.
L’Union européenne, pour sa part, défendrait une action militaire de la CÉDÉAO si celle-ci obtenait un feu vert de l’ONU, mais cette hypothèse est catégoriquement refusée par l’Algérie qui la perçoit comme une intrusion dans sa zone d’influence exclusive. Sans un accord tacite d’Alger, une telle intervention serait difficilement réalisable. L’Algérie se contente alors de défendre son territoire en fermant sa frontière, y compris aux réfugiés, et en usant de son droit de poursuite en territoire malien seulement en cas de tentatives d’infiltrations des islamistes sur son sol. Une région convoitée La corruption est une des causes de l’éclatement de la crise au grand jour. Les rentables négociations avec les islamistes pour libérer des otages et l’importance croissante prise par le transit de la cocaïne d’Amérique latine vers le Moyen-Orient et l’Europe ont considérablement affaibli les États de la région : une minorité corrompue des services de sécurité locaux s’est enrichie, justement, grâce à ce manque de souveraineté effective. Soupçonnés d’association avec les groupes islamistes locaux qui prélèvent une dîme sur les cargaisons en échange d’une escorte et d’une garantie de sécurité pour le transport de la drogue, les narcotrafiquants ont tout intérêt au dépérissement des États centraux. Pourtant, le sous-sol de la région sahélienne recèlerait énormément de richesses : or, manganèse, hydrocarbures, uranium… Peu explorées et presque pas exploitées, ces ressources suscitent l’intérêt de grandes compagnies internationales. L’algérienne Sonatrach, l’italienne Eni, la française Total ou encore Qatar Petroleum possèdent ainsi des concessions minières en Mauritanie et/ou au Mali. Gérées dans un cadre législatif soutenu par un État fort, ces richesses pourraient servir à développer une des régions les plus pauvres au monde. Or, les profits tirés de l’exploitation de ces ressources extractives destinées à l’exportation partent généralement hors des frontières des États qui les abritent. Dans le contexte d’un gouvernement provisoire malien contesté pour son manque de légitimité, se pose alors la question des moyens et outils à utiliser pour renforcer la souveraineté et favoriser un retour à l’ordre constitutionnel sur cet espace aussi vaste et potentiellement riche que complexe et instable. Pour aller plus loin :
http://www.slateafrique.com/90045/au-nord-mali-quatre-forces-se-partagent-territoire-et-pouvoir-mnla-ansar-dine-mujao-aqmi
http://www.crisisgroup.org/fr/regions/afrique/afrique-de-louest/mali/189-mali-eviter-l-escalade.aspx
http://www.grip.org/fr/siteweb/dev.asp?N=simple&O=1027&titre_page=NA_2012-05-22_FR_J-DUFOUR
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