
Gaza: l’impuissance arabe
Point de vue diplomatique, 5 février 2024, François LaRochelle
Après l’échec du processus de paix israélo-palestinien d’Oslo, au tournant des années 2000, la cause palestinienne a perdu graduellement de son actualité sur la scène internationale, y compris au Moyen-Orient.
La région a été confrontée à des crises à répétition : l’invasion américaine de l’Irak, le printemps arabe, le conflit armé contre Al Daech, la guerre civile en Syrie, l’effondrement de la Libye, notamment. Le centre de gravité du leadership arabe s’est aussi déplacé vers les pays du Golfe aux dépens des pays confrontés à Israël depuis sa création comme l’Égypte ou la Jordanie.
Pour les monarchies pétrolières, c’est l’influence iranienne et la crainte de perdre la protection militaire américaine qui sont devenues prioritaires et non pas la question palestinienne. Les événements du 7 octobre dernier et la guerre à Gaza ont brutalement brassé les cartes. Mais les temps ont bien changé au Moyen-Orient.
Nulle menace de guerre des armées arabes contre Israël ou de millions de manifestants dans les rues du Caire, de Damas ou de Tripoli en soutien aux frères et sœurs de Gaza ou de Cisjordanie, comme jadis. En revanche, les dirigeants arabes ont multiplié les déclarations en faveur des Gazaouis, les mini-sommets et les rencontres avec les représentants occidentaux qui déboulaient dans leurs capitales. Pour se donner bonne conscience et rassurer leurs opinions publiques propalestiniennes, sans doute. Ils ont fait parvenir de l’aide humanitaire à Gaza, soumise à la bonne volonté des Israéliens, et se sont activés à l’ONU.
Cependant vu le nombre de pertes civiles et l’étendue des destructions à Gaza on aurait pu s’attendre à ce qu’ils exercent davantage de moyens de pression sur Israël. Que les capitales arabes ayant des liens diplomatiques avec Israël les rompent, menacent de le faire ou rappellent, en bloc, leurs ambassadeurs de Tel-Aviv, par exemple.
Ce ne fut pas le cas.
On comprend alors que pour ces leaders arabes le développement des relations avec l’État hébreu l’a emporté sur la question palestinienne. Et cela le cabinet de guerre israélien l’a bien compris.
La Jordanie et l’Égypte n’ont pas le choix, liés par des traités des paix avec Israël. Pour le Bahreïn, les Émirats arabes unis ou le Maroc c’est la coopération militaire et économique avec l’État hébreu qui prime, à la suite des Accords d’Abraham.
Ce constat augure mal pour l’avenir, si on est Palestinien.
Les pays arabes seront appelés à contribuer à la reconstruction éventuelle de Gaza et possiblement à sa gouvernance mais il est à craindre, qu’échaudés, ils ne feront probablement que le strict nécessaire. Surtout si le Hamas est toujours dans le portrait. Au plan politique, ils soutiendront les aspirations palestiniennes sauf si elles mettent à risque leurs relations avec Israël.
Dans pareil contexte, un pays pourrait cependant faire pencher la balance en faveur des Palestiniens : l’Arabie saoudite. Car le prince héritier, Mohamed Ben Salman, a résisté jusqu’à maintenant aux efforts des administrations américaines pour que sa monarchie normalise ses relations avec Israël. Avant la guerre contre le Hamas, un pareil rapprochement semblait envisageable. Il a été mis en pause depuis la guerre à Gaza. Riyadh pourrait ainsi proposer sa reconnaissance d’Israël en retour de réels progrès politiques pour les Palestiniens.
Cette stratégie confirmerait l’importance de l’Arabie saoudite sur la scène internationale et permettrait d’obtenir un appui domestique car les Saoudiens s’opposent majoritairement à l’établissement de relations avec Israël. Des responsables saoudiens et le secrétaire d’État américain Blinken ont évoqué récemment ce scénario. En son temps le président égyptien Anouar El Sadate avait fait ce choix et récupéré le Sinaï pour son pays. Un pareil retournement de situation encouragerait aussi d’autres joueurs majeurs comme le Qatar, à faire de même.
Pour y arriver il faudra un changement de gouvernement à Jérusalem et une administration américaine prête à faire preuve de neutralité et à exercer les pressions nécessaires sur Israël.
La population israélienne, encore sous le choc du 7 octobre, devra aussi être convaincue qu’il n’y a pas d’autres solutions que de donner aux Palestiniens les droits légitimes à leur propre État, pour vivre définitivement en paix. Car le statu quo actuel est visiblement intenable.
De même, en décidant de faire ce choix, les Israéliens élimineraient un argument majeur alimentant le discours des mollahs à Téhéran et de son « axe de la résistance », soit la cause palestinienne. Après cette guerre à Gaza la diplomatie et la raison devront s’imposer. La tragédie israélo-palestinienne dure depuis trop longtemps, il faut qu’elle cesse une fois pour toutes.
Auteur
François LaRochelle est fellow de l’Institut d’études internationales de Montréal. Au cours de sa carrière de diplomate il a notamment été en poste à Damas et au Liban (1990-1993) et affecté deux fois au Caire, entre autres comme Chef de mission adjoint (2003-2006). Il a occupé diverses fonctions à l’administration centrale à Ottawa, incluant au Bureau du Conseil Privé-Secrétariat de la politique étrangère et de la défense.
Document joint
Gaza_L’impuissance arabe_Point de vue diplomatique de François LaRochelle_février 2024