L’extractivisme : un enjeu de solidarité internationale

8 mai 2023, Catherine Viens

Le 21e siècle se caractérise par une augmentation importante de l’exploitation des ressources naturelles, avec un tournant vers l’exploitation des minéraux rares et critiques. Ce sont les populations d’Amérique latine, d’Afrique subsaharienne, d’Afrique du Nord et d’Asie occidentale et orientale qui subissent le plus le boom extractif actuel. Alors qu’il est présenté comme permettant de répondre aux besoins en termes de développement, le nombre croissant de projets miniers permet aussi de maintenir le régime de production industrielle et de consommation des pays d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Asie ainsi que les communautés les plus riches de tous les continents.

L’extractivisme, concept ayant émergé surtout en études décoloniales du développement, réfère au phénomène colonial et impérialiste qui accompagne encore aujourd’hui l’extraction des ressources naturelles dans plusieurs pays. En plus de la destruction de l’environnement, l’extractivisme se déploie par une politique de la violence et la destruction des liens et écosystèmes sociaux, politiques et économiques des communautés, souvent marginalisées et vulnérabilisées dans leur contexte politique et social, afin d’enrichir les grands centres, les métropoles et les nations surindustrialisées.

La particularité de l’extractivisme d’aujourd’hui est que c’est une pratique qui se justifie de plus en plus par le mouvement vers la durabilité par la transition énergétique. En effet, les énergies renouvelables exigent une grande quantité de minéraux rares et critiques qui sont extraits par les mêmes processus que les autres matières premières, comme les combustibles fossiles et les ressources minières. Cette ère extractive se démarque aussi par l’accroissement des partenariats public-privé.

Virage néolibéral : le rôle croissant du secteur privé 

Les projets d’extraction des ressources naturelles sont en recrudescence. Le nombre est difficilement estimable en raison de la présence de mines illégales. L’enjeu principal qui transcende les décennies d’exploitation concerne le manque d’information et l’absence de consentement et de compensations adéquates pour les communautés qui sont déracinées de leur terre en raison de l’exploitation minière. Ce problème prend une proportion nouvelle aujourd’hui en raison de l’accroissement des projets de nature public-privé : l’État ou les personnes dirigeantes d’un pays s’allient de plus en plus à de grandes entreprises et multinationales pour exécuter leurs opérations et leur transfèrent la responsabilité sociale et environnementale. Elles sont ainsi amenées à mettre en place des programmes sociaux, misant souvent sur les initiatives communautaires et déplaçant ainsi la responsabilité sur les communautés. Les compagnies minières sont également chargées des évaluations d’impact environnemental. Dans des contextes où l’État est peu présent, c’est la compagnie minière qui peut devenir la principale pourvoyeuse de services à la communauté.

Ce virage néolibéral de l’industrie minière, où le secteur privé est présenté comme étant la clé pour réduire les inégalités et répondre aux besoins sociaux et environnementaux, a des impacts concrets sur les populations habitant les lieux riches en ressources naturelles. Alors que les projets miniers se déploient en grande majorité dans des espaces habités par des communautés qui sont marginalisées dans leur contexte social et politique, ce pouvoir disproportionné octroyé aux compagnies minières positionne les populations affectées dans une situation d’extrême vulnérabilité : il devient extrêmement difficile pour elles de faire respecter leurs droits et de faire entendre leurs revendications pour protéger leurs milieux et conditions de vie. Cela est d’autant plus complexe puisqu’il y a une criminalisation accrue des mouvements de résistance à l’extractivisme et que les lois sont de plus en plus amendées pour faciliter le travail des compagnies minières sur le terrain.

Les compagnies étrangères vivent également rarement les conséquences de leurs actions. Prenons l’exemple du Canada : plus de 1000 entreprises canadiennes opèrent dans plus de 100 pays à travers le monde et 34 % des compagnies minières qui sont accusées de violations des droits humains et de lois environnementales sont canadiennes. D’un côté, le gouvernement canadien soutient qu’il n’a pas le pouvoir d’effectuer des enquêtes dans les pays où les violations ont lieu en raison de la souveraineté des États. De l’autre, les gouvernements des États où se trouvent les projets sont peu enclins à exiger un rendement de compte considérant l’apport financier des projets miniers sur leur territoire.

Droits humains et répercussions environnementales

Cette situation est grandement inquiétante en raison de la réputation qu’ont les sociétés minières en termes de droits humains et de protection de l’environnement. En 2017, la clinique juridique transnationale et communautaire Justice and Corporate Accountability Project présentait un rapport au Groupe de travail des Nations unies sur les entreprises et les droits humains dans lequel il est présenté plusieurs cas de violation des compagnies minières. Parmi ces violations, on retrouve assurément la relocalisation forcée des communautés, mais aussi on dénote aussi des cas de détention illégale des personnes manifestantes, des meurtres et des viols.

Les femmes sont souvent les plus affectées dans les contextes miniers. Cela s’explique notamment par la division sexuelle du travail, où les femmes sont celles qui subviennent aux besoins de la famille. Lorsque les compagnies minières arrivent, elles puisent l’eau et détruisent les sols, nécessaires pour répondre aux besoins de subsistance. Plus que cela, les données sur l’accroissement des violences faites aux femmes et aux jeunes filles dans les contextes miniers sont choquantes. Des femmes et des militantes féministes dénoncent comment l’arrivée des travailleurs miniers, souvent des hommes, participe à l’augmentation des maladies transmises sexuellement, de la prostitution, de la grossesse chez les adolescentes, des abus et de la violence sexuelle.

L’extraction des ressources naturelles est par ailleurs intrinsèquement liée aux conflits armés et à la militarisation des territoires. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) a constaté que plus de 40 % de tous les conflits internes sont liés aux ressources naturelles. Comme les femmes ne travaillent généralement pas à la mine, elles vivent directement les répercussions. Par exemple, des femmes de l’Angola, du Brésil et du Mozambique dénoncent l’accroissement des violences faites aux femmes en raison de l’ajout de points de contrôle.

Les besoins pour une solidarité internationale, transnationale et translocale

L’industrie minière est loin de s’arrêter. Nous dépendons grandement des ressources naturelles. La trajectoire pour le développement d’énergies renouvelables illustre parfaitement que notre dépendance ne s’arrêtera pas, même dans un contexte de lutte aux changements climatiques. C’est pourquoi l’augmentation des projets miniers à travers le monde, que ce soit au nom du « développement », de la transition énergétique ou bien pour continuer la surindustrialisation de plusieurs régions et nations du monde, se doit d’être un enjeu majeur de solidarité internationale, transnationale et translocale.

Alors qu’on fait face à un manque d’imputabilité des compagnies minières et à un affaiblissement ou à une absence de responsabilité des États face à leur population vivant dans les contextes miniers, les solidarités avec et entre les communautés et populations affectées par l’industrie minière sont essentielles. De côté institutionnel, il faut collectivement lutter contre la criminalisation des personnes qui s’opposent aux projets miniers ou revendiquent le respect de leurs droits. Il est également impératif d’exiger plus de responsabilité de la part des États et des compagnies minières.

Du côté des communautés, il est urgent d’écouter les voix des personnes les plus affectées par l’industrie minière. Des femmes s’organisent et se mobilisent collectivement depuis longtemps dans les contextes miniers. Leur solidarité permet de partager leurs expériences et de rendre compte des pratiques récurrentes des compagnies minières. Il est essentiel d’imaginer des stratégies créatives pour favoriser la solidarité entre et avec les communautés. De par son initiative de mettre en connexion plusieurs femmes à travers le monde vivant dans les milieux extractifs et résistants à l’extraction minière, le African Feminist Reflection and Action Group est inspirant. En Inde, des femmes ādivāsī s’organisent et sont au cœur des protestations contre un énorme projet d’exploitation de charbon dans le nord de l’État du Chhattigarh. Le partage d’expérience s’avère être un outil essentiel pour comprendre les impacts directs et violents de l’industrie minière sur la vie quotidienne des femmes.

Que ce soit des compagnies minières nationales qui exploitent ou bien des compagnies étrangères, le problème de l’imputabilité et de la responsabilité de l’État et des compagnies minières doit absolument occuper une place centrale dans les recherches actuelles sur l’état des droits humains dans le monde.


Auteure

Catherine Viens, candidate au doctorat en science politique à l’Université du Québec à Montréal.

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