
Être allié-e-s pour la paix et la sécurité des femmes en Palestine
Blogue Un seul monde, Katrina Leclerc, 28 octobre 2024
L’agenda Femmes, Paix et Sécurité (FPS) de l’Organisation des Nations Unies est fondé sur des principes visant à promouvoir la paix, la sécurité et l’égalité des genres à travers la participation active et le leadership des femmes et des groupes marginalisés dans les processus de paix. Toutefois, cet agenda onusien rencontre souvent des défis majeurs, surtout lorsque la communauté internationale doit faire face à des conflits marqués par des complexités historiques et des récits politiques contestés, comme le cas de la Palestine. Depuis le 7 octobre 2023, la situation à Gaza et en Cisjordanie s’est détériorée à un point critique que de nombreux-ses expert-e-s et organisations de défense des droits humains dénoncent un génocide perpétué par Israël contre les Palestinien-ne-s. Des violations flagrantes des droits humains et des campagnes de violence ciblée contre les civils palestiniens, pour la plupart des femmes et des enfants, ont fait de cette situation une urgence humanitaire qui exige une réponse rapide et appropriée. Le silence et la lenteur de la communauté internationale ne fait qu’amplifier l’impunité avec laquelle ces violations sont commises, rendant encore plus essentielle la mobilisation d’allié-e-s à travers le monde. Être allié-e, que ce soit à titre personnel, au sein d’organisations de la société civile ou dans des réseaux transnationaux, implique des efforts constants et intentionnels pour soutenir les communautés marginalisées, amplifier leurs voix sans imposer de cadre externe, et agir de manière à ne pas causer de tort aux personnes soutenues.
Dans de telles circonstances, le rôle des allié-e-s devient crucial. Ces derniers doivent non seulement amplifier les voix des activistes sur le terrain, mais aussi s’assurer que leur soutien ne cause pas involontairement de tort aux personnes qu’ils cherchent à défendre. Trop souvent, des interventions bien intentionnées peuvent s’avérer nuisibles si elles ne prennent pas en compte la complexité des dynamiques locales. Cet article explore donc les responsabilités des allié-e-s au sein de la communauté FPS concernant la Palestine et analyse comment, en période de tensions politiques, il est essentiel d’amplifier les voix des bâtisseur-euse-s de paix et des activistes locaux, tout en leur offrant la protection et l’espace pour mener leurs initiatives. Cet article de blogue critique également les écueils potentiels d’une alliance internationale mal calibrée, notamment lorsque des acteurs globaux risquent d’éclipser ou de marginaliser les communautés qu’ils cherchent à soutenir.
Amplifier les voix dans des contextes politiques complexes
L’agenda FPS a toujours insisté sur l’inclusion des voix locales, avec la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui souligne l’importance pour les femmes de jouer un rôle actif dans la résolution des conflits et la reconstruction post-conflit. Dans le contexte palestinien, ce principe prend une signification d’autant plus cruciale que la voix des femmes palestiniennes est souvent réduite au silence sous l’effet cumulatif de l’occupation, de la violence militaire et des oppressions sociales. Ces femmes, bâtisseuses de paix et activistes, sont à l’avant-garde de la lutte pour leurs droits, résistant à l’occupation et promouvant la paix malgré les obstacles immenses auxquels elles font face.
Cependant, les études sur la paix et les conflits mettent en exergue que les personnes les plus affectées par les conflits sont souvent réduites au silence. Celles-ci se retrouvent coincées dans des structures de pouvoir qui limitent leur capacité à parler ouvertement et librement. Il est alors crucial que les allié-e-s international-e-aux, en particulier ceux-celles qui font partie de la communauté FPS, amplifient leur voix sans imposer de cadres externes ou d’agendas qui ne reflètent pas la réalité vécue sur le terrain. Il ne s’agit pas simplement de relayer leurs messages, mais de les soutenir de manière authentique et respectueuse, tout en s’assurant que l’attention ne soit pas détournée des véritables protagonistes locaux. Trop souvent, l’attention médiatique se concentre sur les grandes puissances ou les interventions internationales, laissant dans l’ombre les luttes quotidiennes des communautés locales, qui, pourtant, connaissent la réalité du terrain.
Les risques d’une alliance internationale mal planifiée
Si les intentions des allié-e-s sont souvent louables, elles peuvent parfois causer du tort lorsqu’elles perpétuent les déséquilibres de pouvoir déjà existants. Cela s’illustre pour la Palestine, où l’implication internationale risque d’éclipser le leadership des activistes locaux, souvent plus au fait des dynamiques et besoins spécifiques de leur communauté. L’une des manifestations les plus flagrantes de cette dynamique est le phénomène de « sauveurisme », qui se caractérise par la tendance des acteurs internationaux, principalement issus des pays occidentaux, à se placer au centre de la scène, en croyant que leur intervention extérieure est la clé de la résolution des conflits. En réalité, cette approche réduit au silence les connaissances, l’expertise et l’autonomie des activistes locaux.
En outre, les allié-e-s internationaux promeuvent fréquemment des initiatives de dialogue transfrontalier entre les femmes des camps opposés. Si le dialogue est un outil fondamental pour la construction de la paix, ces efforts peuvent involontairement exposer les femmes palestiniennes à de plus grands dangers, en particulier sous occupation. Par exemple, l’activiste palestinienne Ahed Tamimi a été arrêtée après que son engagement militant a attiré l’attention internationale, reflétant ainsi les risques associés à la visibilité accrue des activistes. Le rôle des allié-e-s se doit de comprendre ces dynamiques pour éviter de mettre davantage en danger les personnes qu’ils cherchent à soutenir.
Protéger les bâtisseur-euse-s locaux de la paix : un devoir éthique des allié-e-s
L’une des principales responsabilités des allié-e-s en période de crise est de veiller à la protection des bâtisseur-euse-s locaux de la paix. Dans le contexte palestinien, cela implique une compréhension approfondie des dynamiques locales, des risques auxquels sont confrontées les activistes et des moyens par lesquels l’engagement international peut être protecteur ou, à l’inverse, dangereux. Ce devoir de protection dépasse la simple sécurité physique. Il s’agit également de garantir que les espaces où s’expriment ces voix palestiniennes soient sécurisés, et que les acteur-rice-s international-e-aux n’utilisent pas ces plateformes pour s’approprier leur travail ou leurs plaidoyers.
Les allié-e-s doivent donc adopter une approche « ne pas nuire » dans leurs interventions, en reconnaissant les limites de leurs connaissances et en privilégiant une posture humble et attentive. Les allié-e-s doivent écouter les voix locales, comprendre leurs priorités, et agir pour soutenir les stratégies développées par les activistes eux-mêmes, plutôt que de chercher à imposer des solutions externes.
Conclusion : Un appel à une alliance fondée sur des principes
La situation en Palestine requiert une alliance fondée sur des principes forts, qui dépasse les gestes symboliques ou le soutien superficiel. Pour la communauté FPS, cela signifie s’engager à amplifier les voix palestiniennes, à protéger les bâtisseur-euse-s locaux de la paix, et à respecter leur leadership. Il s’agit de trouver un équilibre délicat entre le plaidoyer et l’humilité – reconnaître quand il est temps de se retirer pour laisser les activistes locaux prendre la tête, tout en utilisant les plateformes internationales pour soutenir leurs efforts.
Alors que le génocide contre les Palestinien-nes se poursuit, le rôle des allié-e-s reste indispensable. La communauté FPS doit prendre des mesures concrètes pour soutenir la justice et la responsabilité, comme en appuyant les procédures en cours, notamment le cas porté devant la Cour internationale de Justice (CIJ) par l’Afrique du Sud. En se concentrant sur des mesures tangibles, la communauté FPS peut réellement contribuer à la remise en question des structures d’oppression, tout en assurant la responsabilité face aux violations de droits. Il est important de rappeler que l’engagement ne peut se limiter aux mots : des actions concrètes et une pression continue doivent être exercées sur les gouvernements pour qu’ils prennent des mesures en faveur d’une paix juste et durable pour les palestinien-ne-s.
Cet article de blogue est une adaptation du chapitre « The Role of Allyship in the WPS Community Amid the Genocide in Palestine » (texte original en anglais) publié par le Réseau Femmes, Paix et Sécurité-Canada (WPSN-C) en octobre 2024. Son contenu a été développé en collaboration avec des activistes au Moyen-Orient qui souhaitent demeurer anonymes pour des raisons de sécurité.
Katrina Leclerc, candidate au doctorat en études de conflits à l’Université Saint-Paul d’Ottawa, présidente du Réseau Femmes, Paix et Sécurité-Canada (WPSN-C) et ancienne directrice de programmes au sein du Réseau mondial des femmes bâtisseuses de la paix (GNWP).