Coopération internationale et droits des personnes LGBTQ+ en Afrique
29 mai 2023, Stephen Brown
Les droits des minorités sexuelles et de genre sont attaqués dans plusieurs pays d’Afrique. Par exemple, ces dernières années, des lois anti-LGBTQ+ ont été introduites au Ghana et en Ouganda, où l’homosexualité était déjà illégale. La même chose pourrait se passer bientôt au Kenya et en Tanzanie. Les acteurs internationaux ne savent pas très bien comment réagir à ces différents projets de loi, dont les nouvelles sanctions draconiennes incluent l’emprisonnement à vie et même la peine de mort. En général, les bailleurs de fonds occidentaux hésitent à aborder le sujet plus large des droits LGBTQ+ dans les pays du Sud où cela les met en porte-à-faux avec le gouvernement, surtout quand la majorité de la population s’oppose à la reconnaissance de ces droits. Les condamnations publiques et les approches punitives sont rarement efficaces, mais les acteurs de la coopération pourraient avoir un meilleur impact s’ils adoptaient certaines pratiques, notamment s’ils apportaient davantage de soutien aux défenseurs locaux des droits LGBTQ+ — et si ce soutien était de meilleure qualité.
Une approche punitive inefficace
Parfois, des acteurs internationaux (des pays donateurs occidentaux et quelques organisations multilatérales) dénoncent et condamnent les abus publiquement. Par exemple, des tollés internationaux ont suivi la condamnation d’un couple LGBTQ+ au Malawi à 14 ans de travaux forcés pour avoir organisé une cérémonie de fiançailles traditionnelle en 2009, ainsi que les menaces d’un haut représentant gouvernemental de pourchasser les personnes LGBTQ+ en Tanzanie en 2018. Dans les deux cas, les réactions des bailleurs occidentaux ont provoqué une réaction contre les minorités sexuelles et de genre et ont en réalité augmenté l’animosité envers les personnes LGBTQ+. Au Malawi, elles ont mené à l’adoption de lois encore plus restrictives.
Les condamnations publiques sont en général assorties de mesures punitives, en particulier de menaces de retarder ou de suspendre l’aide au développement. Bien que ces actions puissent être bien intentionnées, elles répondent à la pression domestique que subissent les acteurs internationaux de faire quelque chose rapidement, plutôt que contribuer à des stratégies mûrement réfléchies. Cette approche est rarement efficace. Elle reproduit aussi des dynamiques problématiques persistantes selon lesquelles les acteurs du Nord Global disent aux pays du Sud ce qu’ils doivent faire, et elle renforce les tropes néocoloniaux néfastes selon lesquels le Nord « éclairé » doit « sauver » les populations vulnérables du Sud de leurs gouvernements et attitudes « moins avancés ».
Quelques principes pour une approche plus efficace
Paradoxalement, lors de ces accrochages opposant le national à l’international à propos de minorités sexuelles et de genre, les voix des acteurs les plus affectés — les personnes et les organisations LGBTQ+ — sont habituellement les moins audibles. Pourtant, ce sont les acteurs les mieux à même de savoir ce qui peut fonctionner ou non, et ceux qui encourent le plus de risques en cas de réaction nationale brutale. Les acteurs internationaux (pays occidentaux, instances multilatérales et ONG internationales) devraient donc écouter et suivre leurs recommandations. Si les acteurs locaux recommandent une condamnation publique et la suspension de l’aide, les bailleurs devraient agir en conséquence. Mais ils ne doivent pas agir unilatéralement.
En outre, si les bailleurs souhaitent vraiment défendre les droits des minorités sexuelles et de genre, ils devraient financer des organisations LGBTQ+ locales et d’autres organisations locales qui travaillent dans le domaine de la défense des droits LGBTQ+ pour mettre en œuvre les programmes et les activités que ces organisations jugent les plus efficaces. Dans certains cas, les stratégies pourraient impliquer de travailler avec des journalistes, des enseignant.e.s, des chef.fe.s traditionel.le.s et la police pour soutenir le changement vers des attitudes plus inclusives envers les minorités sexuelles et de genre, et pour combattre la stigmatisation et la discrimination. Les stratégies pourraient également consister à sensibiliser les parlementaires et faire du lobbying auprès d’eux et elles, pour provoquer des changements législatifs tels que l’abrogation de lois « anti-sodomie » datant pour la plupart de l’époque coloniale et l’adoption de lois sur la non-discrimination et sur le changement des marqueurs de genre juridiques. Le fait est que les acteurs nationaux et locaux sont les mieux placés pour décider quelles stratégies sont les plus susceptibles de fonctionner dans leur contexte national.
En général, ces organisations nationales et locales manquent cruellement de fonds et ont besoin de soutien financier pour mettre en œuvre leurs programmes. Mais elles ont également besoin de financement pour couvrir leurs coûts de fonctionnement qui comprennent le loyer et le mobilier de bureau, les factures de téléphone et d’internet. Les bailleurs sont réticents à financer ce type de dépenses récurrentes, mais elles sont essentielles. Les processus des bailleurs doivent être radicalement moins bureaucratiques, non seulement pour que de petits groupes ou organisations informels puissent accéder aux financements, mais aussi pour qu’ils ne consacrent pas tout leur temps à travailler sur des propositions de projet et des rapports plutôt que de mettre en œuvre leurs activités.
Les processus de sélection des organisations à soutenir sont à revoir. Les bailleurs sont tentés de financer les organisations avec qui ils ont déjà établi des relations, ou celles déjà financées par d’autres bailleurs. Mais ce comportement renforce le statu quo. Une approche par portefeuille est nécessaire pour garantir le soutien d’initiatives diverses, représentatives des différents groupes qui se reconnaissent dans le drapeau arc-en-ciel : pas seulement des organisations gérées par des hommes et situées dans la capitale, mais des groupes basés dans différentes parties du pays, y compris dans les centres régionaux et les zones rurales, ainsi que des groupes qui représentent différentes catégories de personnes. Les groupes qui défendent les droits des femmes et des personnes trans ont en effet tendance à être négligés. Il est également essentiel d’adopter des approches diversifiées, par exemple l’appui à l’éducation publique, la santé et les services sociaux, aux organisations de counselling et de soutien, au lobbying, aux actions juridiques et aux activités culturelles.
De plus, les préoccupations des minorités sexuelles et de genre devraient être incluses dans les programmes de développement de manière générale, de la même manière que les considérations en matière de genre ont été intégrées. Les programmes de niche peuvent s’avérer extrêmement utiles, mais l’intégration des droits LGBTQ+ dans les activités de développement dans tous les secteurs aurait un impact plus important. Cela permettrait aussi de respecter l’engagement de « ne laisser personne de côté » à la base des Objectifs de développement durable.
Les bailleurs devront aussi résister à leur envie irrépressible de rendre leur aide visible, ce qu’ils apprécient, car cela montre aux électeurs de leurs pays respectifs où va leur argent et leur permet de polir leur image en se positionnant en tant que défenseurs des droits LGBTQ+. Comme cela est le cas pour l’aide au développement en général, le désir de visibilité des bailleurs nuit à l’efficacité. Et dans le cas du soutien aux organisations locales LGBTQ+, cette visibilité peut faire passer ces organisations en tant qu’« agents étrangers » plutôt qu’en tant que représentants des citoyen.ne.s marginalisé.e.s.
Des résultats incertains
Ces grands principes amélioreront la probabilité que la coopération internationale joue un rôle positif dans la défense des droits des minorités sexuelles et de genre en Afrique et ailleurs. Toutefois, les suivre ne constitue pas une garantie de succès et les expériences varieront considérablement en fonction des contextes nationaux. Au fur et à mesure que les acteurs internationaux gagnent en expérience, une idée plus claire pourrait émerger quant à ce qui fonctionne mieux et dans quelles circonstances, toujours du point de vue des personnes concernées.
Dans les cas les plus extrêmes, où le soutien des bailleurs met la vie en péril des défenseurs et défenseuses des droits LGBTQ+, en raison de l’opposition nationale et locale à leurs activités, les pays occidentaux ont le devoir d’assurer leur protection. Le risque est réel. Par exemple, des militants ont été assassinés en Ouganda et au Kenya. La violence à l’encontre des personnes LGBTQ+ augmente souvent lorsque la rhétorique homophobe nationale s’intensifie, y compris en réaction à la pression exercée par les acteurs internationaux. Entre autres, les pays donateurs doivent mettre en place une procédure simplifiée pour accorder l’asile ou le statut de réfugié.e aux défenseurs et défenseuses des droits LGBTQ+ qui ont besoin de fuir leur pays.
Auteur
Stephen Brown est professeur de science politique à l’Université d’Ottawa et actuellement chercheur invité à l’Académie d’études africaines avancées de Bayreuth, Université de Bayreuth, Allemagne. Les arguments contenus dans ce billet de blogue s’appuient sur son article intitulé « Visibility or Impact? International Efforts to Defend LGBTQI+ Rights in Africa », publié dans le Journal of Human Rights Practice. La version originale anglaise du billet a été publiée dans le blogue Debating Development Research.