Défis et opportunités pour la gestion locale des ressources environnementales en Afrique de l’Ouest

Geneviève Talbot, Chargée de programme - Afrique chez SUCO, 29 mars 2021

Les questions de décentralisation des pouvoirs, c’est-à-dire le mouvement de transfert de l’autorité de l’État central vers diverses unités administratives locales, a pris un nouvel élan, à tout le moins dans la gestion des ressources naturelles, au lendemain de conférences comme la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) de 1992. Pour l’Afrique de l’Ouest, les questions prennent de l’ampleur à la suite de la Conférence régionale sur la problématique foncière et la décentralisation organisée à Praia (Cap-Vert) par le Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) en juin 1994. Cette tendance vers une gestion plus territoriale des ressources naturelles s’est aussi confirmée dans les négociations climatiques internationales. Si les principes qui guident ce processus sont pertinents, soit renforcer la gouvernance des « collectivités locales » en instituant la participation, l’expression et la transparence dans la prise de décisions et la prestation de services au niveau local, il faut noter que le processus de décentralisation, à tout le moins en Afrique de l’Ouest, a souvent été entrepris non pas sous l’impulsion des gouvernements nationaux ni à la demande des collectivités locales, mais comme condition d’aide imposée par les donateurs internationaux. Malgré tout, sur papier, l’idée de décentraliser à des « collectivités locales » la gestion des ressources naturelles et de l’environnement est de prime abord logique : les enjeux environnementaux sont liés à la gestion du territoire et, traditionnellement, la gestion des plans d’eau, des forêts, des terres agricoles est effectuée par des systèmes coutumiers et/ou les autorités traditionnelles. Pour l’État, le but est donc de transférer l’autorité aux diverses unités administratives locales. La question est de savoir dans quelle mesure la délégation, qui découle de cette décentralisation, peut permettre aux communautés locales de prendre en main la gestion véritable des ressources naturelles.

On transfère quoi et à qui ?

Une des questions clés de la décentralisation de la gestion des ressources naturelles demeure « qui transfère et qui reçoit ? ». Encore de nos jours, le transfert de responsabilités du pouvoir central aux collectivités locales est un processus flou. Dans les écrits sur la décentralisation, plusieurs termes sont utilisés pour désigner les « collectivités locales ». Par exemple, on parle parfois « d’unités administratives décentralisées », ou de « structures étatiques décentralisées », ou encore de « communes » et « d’institutions traditionnelles locales ».

Ces termes reflètent des réalités différentes : les deux premiers font référence à des processus initiés par l’État centralisé pour se « rapprocher » des communautés locales. Les communes, quant à elles, sont des entités juridiques locales avec, généralement, une autonomie de gestion financière et sont administrées par des autorités élues. Les institutions traditionnelles locales font références aux systèmes religieux et/ou coutumiers existant depuis bien avant la colonisation européenne. Or, ils sont parfois utilisés indifféremment dans les textes, alors que les rôles, fonctions et liens de pouvoir entre ces instances et les populations locales sont fort différents.

La décentralisation de la gestion des ressources naturelles suscite des débats animés, car elle présuppose à la fois une certaine façon d’utiliser et de conserver les ressources naturelles et une redistribution du pouvoir entre les différents acteurs à tous les échelons. Cela alimente les tensions entre les détenteurs traditionnels du pouvoir et les instances administratives issues de la colonisation et de la décolonisation. En effet, si le transfert de responsabilités de la capitale vers des localités a suscité un intérêt, le pouvoir a été généralement transféré aux institutions nouvellement créées, soit les unités administratives locales décentralisées, plutôt que vers les institutions traditionnelles. Les unités administratives décentralisées restent la plupart du temps distantes des populations locales et font inévitablement concurrence aux institutions coutumières et aux communes, qui ont un lien de proximité et de redevabilité plus grand avec les populations locales. En Afrique de l’Ouest, à tout le moins, ce sont les systèmes traditionnels qui gèrent les ressources naturelles et les questions environnementales de leur territoire. Ce conflit latent entre les nouvelles et les anciennes autorités est présent même au Sénégal, où le processus de délégation a transféré le pouvoir le plus près possible de la base.

L’exemple du Sénégal

Au Sénégal, bien que la Loi portant sur le Code général des Collectivités locales reconnaît un ensemble de compétences aux communes en matière d’aménagement du territoire, de protection et de planification en matière d’environnement, force est de constater que les élu-e-s locaux font face à des défis majeurs : pluralité de références juridiques/coutumières concernant la propriété foncière, difficulté accrue pour les femmes et les jeunes à accéder à la propriété foncière, problèmes de régulation des conflits, avancée de la déforestation, raréfaction de l’eau, problèmes environnementaux, etc. De plus, les communes qui dans ce cas-ci sont les récipiendaires du transfert d’autorité, manquent de ressources en raison de l’insuffisance des impôts et taxes perçus et de la faiblesse des fonds alloués par l’État pour la gestion de l’environnement et des ressources naturelles. Confrontés à ce manque de ressources financières et de capacité fiscale, les élu-e-s locaux, contrairement aux instances traditionnelles, tardent à voir la nécessité d’accorder une plus grande importance à la gestion de l’environnement et des ressources naturelles pour plutôt favoriser des projets avec des rapides retombées économiques. Ainsi, comme mentionnée plus haut, la mise en œuvre de la politique tarde à se concrétiser en raison de différentes problématiques, notamment la gestion du développement régional et la satisfaction de la demande sociale.

Une approche participative, communautaire et inclusive

Une façon de pallier aux enjeux causés par le dualisme d’autorité est de favoriser la tenue de processus délibératifs de qualité. Cette délibération doit favoriser la prise de parole d’une multiplicité d’acteurs impliqués dans la gestion des ressources naturelles de leur commune. Cette prise de parole doit aussi être enchâssée dans les processus décisionnels afin de mettre en place une véritable gestion locale des ressources naturelles et de l’environnement qui prenne en compte l’ensemble des acteurs.

Dans le cadre d’un projet de gestion locale de ressources naturelles au Sénégal, il est devenu évident, en fin de projet, que le succès de ce dernier a reposé sur la participation de toute la communauté et tous les acteurs concernés : implication des maires et mairesses, éleveurs, commission domaniale des mairies, président-e-s des associations communales de femmes et des jeunes, services techniques déconcentrés, commission environnement des mairies, commission élevage des mairies. Cette participation, institutionnalisée par la mise en place des comités de pilotage dès le démarrage du projet, a favorisé une bonne communication et un climat de confiance entre les actrices et acteurs du projet, contribuant ainsi à une cohésion sociale et à une prévention/réduction des conflits (conflits entre agriculteurs et éleveurs ou entre ces derniers et les agents des eaux et forêts par exemple). Par ailleurs, le projet a utilisé une porte d’entrée appropriée dans le cadre de son intervention dans les communes ciblées : la mairie d’abord, ensuite les responsables locaux, puis les services techniques et autres ONG présentes sur le terrain avant la sélection des bénéficiaires. La concertation et la participation sont devenues la règle dans toutes les initiatives environnementales dans les communes facilitant par le fait même l’adhérence des différents acteurs locaux, incluant les différentes instances de pouvoir traditionnelles et administratives.

L’exemple du projet au Sénégal démontre que la mise en place des comités de pilotage, où sont représentés tous les acteurs œuvrant dans la gestion de l’environnement, les échanges avec les autorités administratives, autorités locales, ONG et associations intervenant dans les communes du projet, sur les activités proposées par les collectivités, ont contribué à l’amélioration de la gouvernance environnementale locale à travers la mise en place de processus participatifs de planification et de gestion territoriale visant particulièrement les femmes. Ainsi lorsque le processus de décentralisation favorise une véritable concertation des acteurs locaux et que le leadership local est renforcé par la qualité des processus délibératifs, la gestion des ressources naturelles et environnementales devient prioritaire.

Crédit photo : M. Jean-Pierre Faye et la communauté rurale de Keur Moussa, Sénégal

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