COVID-19 : Apartheid vaccinal et échec de la coopération internationale
13 septembre 2021, Stephen Brown
Les scientifiques ont réagi rapidement à la pandémie de COVID-19 en mettant au point des vaccins efficaces contre l’infection, les maladies graves et la mort. Ces percées médicales rendent possible la lutte contre la pandémie d’une perspective mondiale. Mais c’est une opportunité que nous n’avons pas su saisir jusqu’à présent.
Un accès aux vaccins en fonction des besoins ou des moyens ?
En juillet 2020, plusieurs mois avant l’approbation de tout vaccin, huit chef.fe.s d’État du monde entier ont publié un manifeste dans le Washington Post. Les dirigeant.e.s de l’Afrique du Sud, du Canada, de la Corée du Sud, de l’Espagne, de l’Éthiopie, de la Nouvelle-Zélande, de la Suède et de la Tunisie étaient tous cosignataires. Le manifeste appelait à la création d’un « mécanisme multilatéral fort » pour « garantir que les vaccins soient distribués selon un ensemble de principes transparents, équitables et scientifiquement solides ». L’accès aux vaccins, insistaient-ils, devrait être « basé sur les besoins plutôt que sur les moyens ».
Une distribution mondiale des vaccins fondée sur les besoins est sensée à plusieurs égards. D’un point de vue moral et éthique, elle permettrait de sauver le plus grand nombre de vies et de protéger les personnes les plus vulnérables, où qu’elles se trouvent. Elle s’alignerait également sur les principes cosmopolites et serait à la hauteur du slogan souvent répété : « Nous sommes tous dans le même bateau ».
En pratique, elle contribuerait également à mettre fin à la pandémie plus rapidement, car elle réduirait les chances d’apparition de nouveaux variants plus dangereux. En tant que telle, elle serait dans l’intérêt à long terme de tous les pays. Comme nous l’avons également entendu ad nauseam : « Personne n’est en sécurité tant que tout le monde ne l’est pas ».
Nous ne sommes pas tous dans le même bateau
Cependant, la distribution des vaccins a été très largement basée sur les moyens plutôt que sur les besoins. Et ce, malgré les exhortations des dirigeants et dirigeantes mondiaux dans le Washington Post et ailleurs. Le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres pays riches ont actuellement plus de vaccins qu’ils ne peuvent utiliser — et plus encore sous contrat. L’utilisation des vaccins a atteint un plateau et des réserves des pays riches arrivent maintenant à échéance. Les États-Unis ont déjà jeté 15 millions de doses.
Entre-temps, seul 1,9 % de la population des pays à faible revenu avait reçu au moins une dose au 8 septembre 2021, contre 64,9 % dans les pays à revenu élevé. Les déclarations des dirigeant.e.s mondiaux dans le Washington Post, selon lesquelles « l’endroit où vous vivez ne devrait pas déterminer si vous vivez, et la solidarité mondiale est essentielle pour sauver des vies et protéger l’économie », sonnent creux.
S’approprier les doses de rappel
On pourrait penser que la solidarité mondiale se mettrait en place dès que les pays riches disposeraient de suffisamment de doses pour vacciner tous leurs citoyens et citoyennes. Mais cela n’a généralement pas été le cas. Au lieu de cela, ils concluent des contrats pour des injections de rappel pour 2022 et 2023. Pendant ce temps, les pays les plus pauvres n’ont pas été en mesure de vacciner ne serait-ce que leur personnel de santé et leurs populations vulnérables.
Les États-Unis ont autorisé les injections de rappel pour les vaccins à technologie ARN messager (ARNm) pour la population générale huit mois après la deuxième dose, dès septembre 2021. Ils l’ont fait malgré le manque de preuves scientifiques de la nécessité médicale d’une troisième dose de vaccin.
Un haut fonctionnaire de l’OMS a déclaré que de tels plans « se moquent de l’équité vaccinale ». Trois provinces canadiennes ont autorisé l’administration d’une troisième et même d’une quatrième dose aux citoyens et citoyennes qui veulent se rendre dans des pays qui ne reconnaissent pas les vaccins reçus. Elles ne tentent même pas d’apporter une justification basée sur la santé.
L’échec du multilatéralisme
Les pays riches ont donc acheté et stocké des vaccins, et ont verrouillé les commandes futures. Ce faisant, ils empêchent les pays plus pauvres de bénéficier d’un accès généralisé aux vaccins. Une approche multilatérale était censée prévenir ce type d’apartheid vaccinal.
L’initiative COVAX a été créée pour mettre en commun les approvisionnements et les distribuer équitablement, en garantissant la disponibilité pour les pays à revenu faible et intermédiaire. Son objectif initial était de vacciner 20 % de la population des pays bénéficiaires d’ici fin 2021. Cependant, malgré de généreux dons en espèces, il a pris un retard considérable. Au lieu de fournir 2 milliards de doses en 2021, comme prévu en janvier, l’initiative envisage maintenant d’en livrer seulement 1,4 milliard. Cela est dû en grande partie à la disponibilité limitée des doses sur le marché.
En plus de la constitution de réserves par les pays riches, le moratoire temporaire de l’Inde sur l’exportation de ses vaccins a gravement entravé les plans d’acquisition de COVAX. Bien qu’elle ait obtenu un accès à terme à plus de cinq milliards de doses, COVAX n’en avait expédié que 252 millions (y compris à certains pays à revenu élevé, comme le Canada et le Royaume-Uni), au 10 septembre 2021.
Augmenter l’approvisionnement
La solution évidente à l’approvisionnement limité en vaccins est de développer la fabrication, ce qui, dans une certaine mesure, est en cours. Cependant, même une partie de la nouvelle production dans les pays du Sud est expédiée en Europe. Il a été récemment révélé qu’il s’agissait d’une obligation contractuelle imposée par les entreprises pharmaceutiques.
Le principal obstacle à l’augmentation de la production est la réticence des entreprises pharmaceutiques et des pays européens à assouplir les droits de propriété intellectuelle. Même cela ne serait pas une panacée, car il faut partager bien plus que les formules, notamment le savoir-faire de fabrication et les ingrédients.
Charité plutôt que solidarité
Le nationalisme vaccinal et l’échec de la coopération mondiale ont engendré une charité ad hoc, plutôt que la justice et la solidarité. Actuellement, les pays riches annoncent sporadiquement leur engagement à donner de l’argent et/ou des doses. Mais ces promesses sont souvent assez vagues. Elles indiquent « jusqu’à » un certain nombre de doses et ne comportent pas d’échéancier. Il est donc difficile pour COVAX, ou pour tout pays bénéficiaire, de planifier la distribution des vaccins.
Parfois, les pays donateurs attendent que les doses soient proches de leur date d’expiration et donnent les types de vaccins que leurs propres populations ne veulent pas, notamment AstraZeneca et Johnson & Johnson. En outre, ils répartissent souvent leurs dons de manière bilatérale, en décidant quels pays recevront quelle quantité de doses. Cette situation ne fait qu’affaiblir les principes d’allocation « transparents, équitables et scientifiquement valables » que nombre d’entre eux avaient initialement prônés.
Les pays riches sont en train d’accaparer la nourriture en période de famine jusqu’à ce qu’ils soient rassasiés, et de garder les meilleurs morceaux pour plus tard. Ils donnent également des quantités limitées d’aliments moins désirables et bientôt périmés à des destinataires triés sur le volet. Comme le montre le manifeste du Washington Post, les chef.fe.s d’État savaient exactement, il y a plus d’un an, ce qu’il ne fallait pas faire. Force est de constater que cela ne les a pas empêché.e.s de le faire quand même.
Crédit photo : Michel Corvello, Creative Commons
* Le billet a été initialement publié en anglais sur le blogue The Loop.