Au-delà du droit économique international : le DIH et les droits des humains, deux alliés insoupçonnés dans l’instauration d’une stabilité économique

Daphné Beaudoin, candidate à la maîtrise en droit (UQAM) et stagiaire DIH (Croix-Rouge Canada), 20 février 2023

« Éviter le pire ». C’est sur toutes les lèvres des différent.e.s panélistes qui se sont relayé.e.s au Forum économique mondial 2023 qui se tenait à Davos du 10 au 16 janvier. Les plus grandes entreprises, organisations et gouvernements se réunissent, ainsi, chaque année, afin d’échanger pour contribuer à une économie mondiale plus prospère. Cette année cependant, le sentiment ambiant était bien différent. La forte présence de représentant.e.s ukrainien.n.e.s, la crise environnementale, l’inflation : les sujets des discussions de corridors sont loin d’être optimistes. Un constat est fait : l’instabilité du système international ne permet pas d’assurer une confiance suffisante pour attirer les investissements internationaux.

Au courant des dernières années, le développement économique tirait profit d’une stabilité et d’une paix internationale relative afin de permettre une croissance des capitaux. Les investissements étaient dirigés principalement afin d’accroître le profit et peu d’attention était donné à ce qui permettait cette stabilité tant profitable. Et s’il fallait considérer le rôle non seulement des États, mais aussi des entreprises internationales pour instaurer la stabilité mondiale ? Parmi les outils à la disposition des leaders économiques, le droit international pourrait contribuer à la stabilité et à la prévisibilité. Le droit international économique est déjà fortement démocratisé pour les grandes entreprises internationales, entre autres, pour assurer le respect des contrats internationaux, les traités de libre-échange, le droit à la propriété ou encore une concurrence loyale. Or, le droit international économique n’est que l’une des branches du droit international. En effet, ce dernier regroupe deux autres branches qui mériteraient l’attention des leaders économiques internationaux : le droit international humanitaire et les droits humains.

Le droit international humanitaire

Le respect du droit international permet de minimiser l’éclatement de conflits armés et d’assurer une stabilité économique. De ce fait, la présence fort remarquée au Forum de Yuliia Svyrydenko, vice-première ministre et ministre du Développement économique et du Commerce de l’Ukraine, était stratégique. L’Ukraine peine à se relever économiquement des désastres du conflit armé qui s’éternise. Le pays doit faire face à une instabilité sans précédent, mais aussi à des difficultés d’approvisionnement et de production. La prospérité économique régionale subit les conséquences de la guerre et essaie d’être résiliente. Entre-temps, les conséquences économiques internationales entrainées par les affrontements sont incalculables et tous sont perdants : les Ukrainien.ne.s, les entreprises, les États…

Mais comment assurer que les conflits aient le moins de conséquences possible afin de permettre un retour à la stabilité régionale ? En droit international, plusieurs branches pourraient permettre de réduire les conséquences de la guerre. L’une d’elle est le droit international humanitaire (DIH), chargé de protéger les civils en cas de conflit, mais aussi d’encadrer juridiquement la pratique de la guerre. Celui-ci veille à la réduction des souffrances de la guerre. Veiller au respect et à la mise en œuvre des protections prévues par le DIH, c’est ainsi contribuer à la stabilité internationale et au fleurissement des investissements.

Puisque l’idée peut paraître floue, il convient de l’illustrer par un exemple plus concret. L’une des dispositions prévues en DIH est qu’il est interdit de détruire des infrastructures, quelles qu’elles soient, si elles ne contribuent pas à des objectifs militaires. Cela signifie que les industries énergétiques, technologiques ou alimentaires ne peuvent être ciblées par des attaques si ces dernières n’ont pas de lien avec l’objectif de servir la conduire de la guerre. Sans prendre position, le DIH permet de « préserver » au mieux le contexte d’avant-guerre afin d’amenuir les conséquences des conflits armés. Veiller au respect du DIH contribue ainsi au maintien des chaînes d’approvisionnement et à assurer une prospérité économique malgré les affrontements. Les marchés mondiaux écoperont donc certainement des conflits armés, mais le DIH est le meilleur allié que peuvent avoir les États pour assurer la stabilité économique lors des conflits armés et contribuer à préserver la paix.

Les droits humains

Une autre branche du droit international qui pourrait permettre de contribuer à la stabilité internationale est la branche des droits humains (DH). Grande hantise des entreprises internationales, celle-ci a rarement été l’alliée par excellence des multinationales. Encore une fois, si l’on s’attarde à la recherche du profit à tout prix ou sur la réduction des coûts au maximum pour accroître son gain, droits humains et économie sont aux antipodes. Il est pourtant intéressant de s’attarder aux DH comme d’un outil qui permet d’assurer la stabilité de la communauté internationale. Le respect des droits humains pourrait permettre d’éviter les soulèvements de populations et réduire les déplacements de personnes fuyant les persécutions suite aux violations des droits de DH. Par exemple, il est possible d’illustrer les effets des violations de DH par les vagues de soulèvements contestataires en Iran suite aux violations du droit des femmes. Ayant une perspective holistique des facteurs contribuant à la prospérité mondiale, la considération pour le respect et la mise en œuvre des droits humains devrait être davantage étudiée par les entreprises privées. La stabilité permet d’assurer une prospérité mondiale bénéfique aux grandes entreprises. Or, les violations de droits humains telles que le manque d’eau, la faim ou les déplacements massifs des populations contribuent à l’instabilité et à l’augmentation de la violence régionale.

L’intérêt du respect des DH pour les entreprises pourrait s’étendre plus directement puisque pour certaines juridictions, ces dernières pourraient être tenues directement responsables de leurs violations. Cela s’inscrit dans une tendance récente dont s’inscrivent les dernières lois allemande et norvégienne, où les entreprises devront respecter des engagements en matière de droit environnemental et en matière de droits humains.

Finalement, le repli sur elles-mêmes des économies dans les derniers mois n’est pas anodin et transparait un manque de confiance dans l’état de l’économie du monde actuel. « Il faut surtout pouvoir éviter la fragmentation de l’économie internationale » étaient les mots de clôture de Børge Brende, président du Forum économique mondial.  Pourtant, il s’agit de reconstruire la confiance avec les outils déjà présents, dont le droit international. Veiller à son respect et sa mise en œuvre est dans l’intérêt des entreprises, qui restaient jusqu’ici assez passives quant à son développement et leurs engagements vis-à-vis de celui-ci. Reposer sur des principes contractuels clairs, une prévisibilité des contextes d’investissement et permettre une confiance advenant des violations des termes passe pourtant par le respect du droit international. Ainsi, loin d’en être son talon d’Achille, le droit international est la solution tant recherchée des maux de Davos.


Auteure :

Daphné Beaudoin, Candidate à la maîtrise en droit, concentration droit international, UQAM, coordonnatrice en droit, Centre de développement professionnel de la Faculté de science politique et droit, UQAM, stagiaire DIH, Croix-Rouge Canada, et récipiendaire d’une bourse-stage Banque Scotia-IEIM 2022

Photo: Benedikt von Loebell/Forum économique mondial, Licence CC BY-NC-SA 2.0

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